Dimanche 10 avril, j’étais à Evreux à parler de laïcité au premier Salon du livre d’Histoire. C’était un retour vers des territoires que je n’avais pas arpentés depuis 35 ans — quand j’étais « turbo-prof », enseignant au collège du Neubourg, à 25 kilomètres de là, et que chaque jour je faisais Paris/Evreux. De bons souvenirs. J’étais jeune — et contrairement à ce que disait Nizan, je ne laisserai personne dire que vingt ans n’est pas le plus bel âge de la vie. Face à moi, Jean Rouaud, dont je n’ai pas lu grand-chose, à ma grande honte, depuis son prix Goncourt de 1990, les Champs d’honneur (probablement l’un des meilleurs romans sur 14-18, avec le 14 d’Echenoz), dont Grasset vient de réunir en volume (Tout souvenir n’est pas perdu) ses chroniques de l’Humanité. Et Malik Bezouh, qui a publié chez Plon fin 2015 France-islam, le choc des préjugés. C’est de cet intéressant garçon que je voudrais parler.
Il a rappelé comment il a été séduit, plus jeune, par le discours des Frères musulmans — c’est dire qu’il revient de très loin. Et comment Bossuet l’a ramené à la France. Bossuet entre autres. Et de citer Pierre le Vénérable ou Elie Fréron (qu’il préfère à Voltaire, qui avait une dent acérée contre lui) ou Pierre Bayle, dont le Dictionnaire est effectivement l’une des étapes indispensables vers les Lumières et l’Encyclopédie : Bayle le parpaillot converti au catholicisme, par prudence ou par conviction, puis revenu au protestantisme et exilé à Genève puis aux Pays-Bas comme tant de huguenots, y tient un discours apparemment mesuré, mais dans les notes, puis dans les notes des notes (chaque fois dans un corps plus petit), il assène quelques vérités que le régime de Louis XIV était loin de pouvoir entendre — misant sur la paresse des censeurs qui vont rarement voir ce qui est écrit en petits caractères.
Et de raconter comment la littérature française — cet état maximal de la langue, puisque le « bon usage », c’est, dit Vaugelas, « la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps » — l’a ramené à l’Histoire de France et à la culture française. Et lui a fait comprendre que, comme il dit, l’islam est malade, et devrait très vite procéder à un aggiornamento — que j’ai proposé par ailleurs.
J’ai aimé cette idée : nous habitons notre langue, et notre langue, c’est notre culture — pas la langue bredouillée du rap, pas les pleurnicheries d’Edouard Louis, mais la langue flamboyante de Bossuet, de Voltaire (et de Rousseau aussi, quoi que je pense de l’homme), de Balzac et de Stendhal, de Hugo, Zola, Maupassant — tant d’autres ! Et c’est cette langue-là que nous devrions faire apprendre en classe — pas celle des œuvres écrites spécifiquement pour la jeunesse, comme le conseillent les nouveaux programmes de Mme Vallaud-Belkacem.
Ma langue, mon territoire, ma culture, mon pays
Je suis en train d’écrire un hymne à cette langue — ma langue, mon territoire, ma culture, mon pays. Et je constate que l’action néfaste des pédagos et de tous ceux qui s’en inspirent n’a visé au fond qu’à instaurer un doute quant à l’universalité de la langue française, comme disait Rivarol. Tout comme ils ont instillé un doute quant à l’Histoire de France (voir les arguties de Laurence de Cock et autres obsédés de l’esprit indigène — le comble ces jours-ci étant le torchon publié par Houria Bouteldja, les Blancs, les juifs et nous, j’en ferai très prochainement quelque chose) et imposé une Histoire de la culpabilité et du sanglot de l’homme blanc.
La diminution drastique des horaires de français, la réduction de l’enseignement de la grammaire (c’est-à-dire du « bien parler ») au profit de « compétences » langagières qui appartiennent davantage au brouillamini qu’au bon usage, l’incitation à « s’exprimer » quand il faudrait se taire pour apprendre, à valoriser toute expression, aussi fautive soit-elle, à accepter dans les dictées (5 points sur 700 au brevet — et il y en a une qui prétend défendre l’exercice !) les aberrations linguistiques les plus aberrantes, tout a été mis en place pour descendre la langue, par haine de la francité et valorisation des « indigènes ». C’est un raisonnement raciste : pourquoi l’indigène n’aurait-il pas le droit d’apprendre la langue qu’ont apprise Senghor, Hampâté Bâ, Césaire ou Ben Jelloun, sinon parce qu’on le méprise foncièrement ?
On comprend mieux du coup comment l’islam rigoriste, qui exige de connaître l’arabe classique, a développé ses arguments. Face à une langue française en lambeaux, l’islam wahhabite impose une langue rigoriste, donnée comme divine. Je ne connais d’autres dieux que Du Bellay, qui chantait la Défense et illustration de la langue française, ou le « divin Ronsard » (comme disait Flaminio de Birague), et quelques autres depuis — dont Bossuet : dans le final magnifique du Alatriste d’Agustín Díaz Yanes (2006), où Perez Reverte a scénarisé la mort de son héros[1. Merci à AN pour m’avoir fait toucher du doigt combien les aventures d’Alatriste étaient emblématiques, chez Perez Reverte, de son ressenti des avancées islamiques depuis la guerre de Bosnie où il était reporter.] alors que dans les romans de la série il n’en est pas encore là, j’entends à chaque fois que je revois le film chanter la voix de l’Aigle de Meaux dans l’Oraison funèbre du Prince de Condé : « Restait cette redoutable infanterie de l’armée espagnole… » La langue de Bossuet, autant que la valeur de « Monsieur le Prince », a vaincu les redoutables tercios — et seule la langue, dans ce qu’elle a de plus sublime, peut vaincre l’obscurantisme, le drapeau noir du fanatisme et toutes les abdications programmées par les pédagogies complices de la nuit.
France-islam : le choc des préjugés: Notre histoire des croisades à nos jours
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