« Il est bon de se prosterner dans la poussière quand on a commis une faute, mais il n’est pas bon d’y rester. » Chateaubriand.
L’auteur du présent article a écrit tout récemment un papier sur l’effondrement de la langue française. Les dieux n’aimant pas trop que d’autres qu’eux-mêmes donnent des leçons aux simples mortels, ils se sont évertués à lui faire faire deux fautes (qu’on qualifiera complaisamment « d’inattention »)– immédiatement relevées, dans les commentaires, par Samuel Godefroy, lecteur attentif et scrupuleux qui n’a pas manqué, à juste titre, de trouver cela « cocasse dans un texte traitant de la baisse de niveau de langue ». Une autre commentatrice, Félicité, a compassionnellement écrit : « Nul doute que D. Desrimais va en être mortifié » ; et elle ne croyait pas si bien dire. Mortifié, l’auteur l’a été dans les deux principaux sens qu’en donne le dictionnaire, d’abord dans celui de « blesser dans son amour-propre », puis dans celui de « mortifier sa chair » en la soumettant à quelques sévices. Il se serait bien giflé mais, connaissant sa force, il a craint de se décrocher la mâchoire et s’est par conséquent contenté d’un sec coup de règle sur les doigts, à l’ancienne. Mea culpa, mea maxima culpa, et tout ça.
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À peine ces fautes avaient-elles été corrigées, qu’un autre commentateur, répondant au doux pseudonyme de Quasi modo, reprochait cette fois à l’auteur d’avoir utilisé l’adjectif “morvandiaute” au lieu de “morvandelle”. Sauf que, dans ce cas, nulle faute – et l’auteur, soulagé, s’évita une nouvelle séance de mortification. S’il est vrai que le dictionnaire ne retient comme féminin de morvandiau que le mot morvandelle, les morvandiaux, eux, fiers de leur patois et de leur Morvan d’où ne vient ni bon vent ni bonnes gens, dit le terrible dicton local, ne conçoivent pas qu’il y ait autre chose que des auberges, des collines, des fermes ou… des nourrices morvandiautes. La nourrice est presque toujours morvandiaute, très rarement morvandelle, pour le meilleur et pour le pire. Victor Petit (peintre et écrivain du XIXe siècle) écrivait ainsi que « cette nourrice entourée de tant de soins à qui chacun s’empresse d’obéir, à laquelle rien n’est refusé, pour laquelle rien n’est trop beau ni trop bien, c’est une « Morvandiaute » de l’Avallonnais, une « bourguignotte » des environs de Chastellux ou de Quarré-les-Tombes ». Le critique dramatique Albert Brisson l’évoque pour « sauver » une actrice jouant dans une pièce d’Eugène Brieux intitulée Les Avariés en 1905 : « Mais la palme appartient sans conteste à Mlle Mill, une Nourrice sublime de conviction, de naturel : la vraie vache laitière morvandiaute ». Dans ses Souvenirs d’un homme de lettres, Alphonse Daudet n’y va pas avec le dos de la cuillère pour décrire la “nounou” venue du Morvan et employée à Paris : « Vous aurez beau la choyer et la soigner, cette sauvagesse ainsi introduite chez vous et qui détonne d’abord si étrangement parmi les élégances d’un intérieur parisien avec sa voix rauque, son patois incompréhensible, sa forte odeur d’étable et d’herbe ; vous aurez beau laver son hâle, lui apprendre un peu de français, de propreté et de toilette, toujours, chez la nounou la plus friande et la plus dégrossie, à tous les instants, en toute chose, la brute morvandiaute reparaîtra. » Beaucoup plus récemment, on trouve sur l’application TripAdvisor un client qui, ayant apprécié à Saint-Léger-sous-Beuvray l’hôtel-restaurant du Morvan, décrit un « très bon restaurant ambiance morvandiaute, cuisine familiale et simple ». Si Daudet avait écrit : « la brute morvandelle », ou ce gourmet : une « ambiance morvandelle », cela aurait été juste du strict point de vue de la langue française mais aurait affadi le propos jusqu’à le rendre insipide : le patois local rend mieux la rusticité de l’objet désigné, nourrice ou restaurant, sa brutalité paysanne ou sa convivialité sans manières, son « odeur d’étable » ou sa cuisine simple – il en rend tout le jus.
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L’auteur chicane sur un mot pour le plaisir de chicaner – et aussi un peu pour faire oublier ses étourderies, il est obligé de l’avouer. En même temps que le poisson, il noie son humiliation dans de petites querelles langagières sans importance mais bien agréables au fond puisqu’elles l’obligent à fouiner dans les écrits les plus littéraires comme les plus triviaux. Il se console en pensant que de plus fameux que lui ont eu de ces tourments. Alexandre Vialatte crut longtemps qu’il fallait dire : « Vous contredites ». Un jour il consulte un dictionnaire ; il faut dire : « Vous contredisez ». L’homme, souligne-t-il, est un animal étrange qui a parfois des idées fixes. Il écrit tel mot de telle façon et n’en démord pas. « La dernière chose à laquelle il songe, pour s’éclairer, c’est de consulter un dictionnaire. » Jusqu’au jour où, troublé par l’insistance d’un ami, il accepte de se pencher sur la question. Il faut, dit-il, qu’il écrive pour être sûr:« Son instinct ne le trompe pas. C’est du moins ce qu’il affirme. […] Et il écrit sans hésiter ; en faisant sa faute habituelle. Si par hasard vous lui montrez le Larousse, il est d’abord surpris, ensuite il est choqué ; il éprouve l’impression qu’on le triche ; j’ai un ami qui me répond à tout coup : “Non, moi je préfère mon orthographe”. (Il est professeur agrégé.) On voit par là qu’il faut se méfier de soi-même. (1) »
Dans la rubrique « quand on se regarde, on se désole ; quand on se compare, on se console », l’auteur s’apprête à conclure en citant l’inénarrable Sandrine Rousseau. Cette dernière parle et écrit le wokisto-inclusif comme personne et massacre donc intentionnellement la langue. Tenant à féliciter son équipe de campagne après sa victoire aux législatives, elle a lâché un « Bravo à vous pour la magnifique campagne que vous avez fait et faite ! » qui trouvera sûrement une place de choix dans les futures annales de la langue sacrifiée sur l’autel de la bêtise. Décidément, il y a des coups de règle sur les doigts qui se perdent – et pas que des coups de règle, et pas que sur les doigts.
(1) Alexandre Vialatte, Éloge du homard et autres insectes utiles.
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