On peut aussi voir dans le procès hors normes de Derek Chauvin une inquiétante parodie de justice.
Dans une nouvelle et si touchante unanimité, la presse américaine comme française a salué le verdict de culpabilité de Derek Chauvin dans la mort de George Floyd. Peu ou pas de voix dissonantes dans le concert de louanges pour une Amérique « soulagée », comme l’écrit même un grand quotidien classé à droite.
Les systèmes judiciaires des pays occidentaux sont basés sur quelques principes communs, progressivement élevés au rang de dogme au cours des siècles : l’indépendance de la justice, la présomption d’innocence, une procédure équitable, l’égalité des armes entre le procureur et la défense ainsi que l’impartialité des juges. Ces principes ont-ils vraiment été respectés dans le procès du policier Derek Chauvin ? Si non, ce précédent devrait inquiéter.
Un procès très politique
L’affaire est présentée dans les médias comme une étape dans un combat forcément jamais achevé contre le « racisme systémique » de la police aux Etats-Unis. Pourtant, l’éventuel mobile racial n’a pas été une seule fois évoqué par l’accusation lors du procès. Dès le début, il a cependant été présenté comme coupable parce que Floyd était noir et Chauvin un policier blanc. « Croyez ce que vous voyez » (les désormais célèbres neuf minutes) n’a cessé d’affirmer le procureur, sans prendre en compte l’ensemble de la séquence où l’on voit Floyd résister activement à son arrestation, ou se plaindre dès avant l’arrivée de Chauvin sur les lieux qu’il ne peut pas respirer. Sans tenir compte de sa cardiopathie. Sans tenir compte des six grammes de Fentanyl dans son sang, un taux trois fois supérieur à la dose mortelle.
L’accusation a même réussi à présenter la toxicomanie de Floyd comme un problème médical contre lequel il luttait héroïquement. Face à une équipe de procureurs se relayant à la barre, avec le renfort de onze juristes privés, Chauvin disposait d’un seul avocat choisi sur un rôle de garde, sans grands moyens pour un procès spectacle de ce type. Le même département de la justice qui a refusé de poursuivre la majorité des casseurs lors des émeutes de l’année dernière a dépensé des dizaines de millions de dollars pour faire condamner Derek Chauvin…
Sans tenir compte non plus de l’indemnité de 27 millions de dollars accordée par la ville de Minneapolis à la famille de Floyd avant même l’ouverture du procès qui faisait peser une pression inacceptable sur les jurés.
Un jury sous pression de la foule et des médias
Sans tenir compte aussi des circonstances atténuantes mises en évidence par la défense : l’hostilité de la foule que Chauvin et ses collègues devaient surveiller les empêchant de prendre conscience de l’état de Floyd, le droit, non contesté par le procureur, qu’aurait eu Chauvin d’utiliser son Taser, ce qui n’aurait pas arrangé la condition physique de Floyd, mais aurait évité le film de cette insupportable scène.
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Le plus grave est l’intimidation du jury. Le procès s’est déroulé à Minneapolis alors qu’il aurait dû être délocalisé. De façon incompréhensible, le juge a refusé d’isoler les jurés dès le début des débats. Ces derniers savaient donc parfaitement qu’un acquittement provoquerait émeutes et destructions à travers les États-Unis. Ils ont vu les nouveaux pillages dans la ville, leur ville, après la mort de Daunte Wright tué par une policière confondant son révolver et son Taser. Ils ont vu ce qui est arrivé à l’un des rares témoins de la défense, une tête de porc étant retrouvée devant sa précédente maison et sa porte badigeonnée. Ils ont entendu la députée Maxine Waters en appeler à une confrontation s’ils rendaient le « mauvais verdict ». Ils ont sans doute légitimement pensé à eux-mêmes, à leurs biens et à leur famille. Aucun – et on le comprend – n’a eu le courage du juré numéro huit dans le film magistral de Sydney Lumet « Douze hommes en colère » qui, seul au départ, parvient à travers des questions légitimes, à retourner les autres jurés.
Avant même l’énoncé du verdict, lorsque le jury est entré en délibération, en violation de la séparation des pouvoirs, le président Biden a souhaité que Chauvin soit condamné.
La police dévalorisée ?
Ce qui est inquiétant n’est pas le verdict en soi (Chauvin est peut-être coupable, je n’en sais rien) mais la façon dont il a été rendu, en l’absence de « due process ». « Justice must not only be done; it must also be seen to be done” dit le célèbre adage, consacré par la doctrine sous le nom de “théorie des apparences”. A Minneapolis, on a assisté à une caricature de justice, à une pression insupportable de la foule (the mob en anglais) face à laquelle l’appareil judiciaire américain a failli. Les conséquences sont graves. C’est l’ensemble de ce système qui est ébranlé dans ses fondements. Quelle confiance les citoyens peuvent-ils désormais accorder à une justice aussi sensible à la pression de la foule et des médias ?
Depuis la mort de George Floyd, le métier de policier est complètement dévalorisé et les policiers démotivés. Conséquence, la violence explose dans les grandes villes, 32 meurtres et 158 fusillades de plus à Chicago depuis le début de l’année par rapport à 2020 et 13% de meurtres supplémentaires à New York. En dépit de tout ce qui a été écrit depuis un an, si l’on tient compte de la « race » (terme utilisé couramment aux Etats-Unis) des auteurs de crimes, il n’y a pas de preuves statistiques que la police est plus violente vis-à-vis des noirs que des blancs.
Malgré les réactions unanimes de la presse et de personnalités d’Obama à Zuckergerg, l’Amérique n’est pas « soulagée » par le verdict de Minneapolis, pas plus qu’elle ne l’a été par l’élection de Biden. L’Amérique est profondément divisée et une grande partie est profondément inquiète de voir des groupes minoritaires imposer leur agenda politique à travers l’intimidation et la violence, cette fois à l’encontre de la justice, avec la complicité des grands médias américains. L’ironie de l’histoire est que la majorité des victimes supplémentaires de la violence depuis un an sont des noirs. Mais ce vrai sujet ne semble intéresser personne.