L’Iran ne cache pas faire de ses relations avec les pays d’Amérique du Sud l’une de ses « priorités » diplomatiques, depuis plusieurs années. Sa rhétorique anti-occidentale y trouve malheureusement des oreilles attentives.
Les récentes prises de position anti-Israël en Amérique du sud sont le résultat à la fois d’une adhésion à l’idéologie décoloniale et d’une influence iranienne de longue date.
Paradoxalement, le retour à la démocratie dans la région a favorisé dans les années 90-2000, l’expansion de cette idéologie qui entremêle anti-impérialisme, anti-occidentalisme, théorie de la domination et du « privilège blanc », antisémitisme antisioniste et défense des musulmans nouveaux « damnés de la terre ». Tandis que les pays latino-américains ressemblaient de plus en plus aux États-Unis et à l’Europe, où cette idéologie se développait également, ils se tournaient de plus en plus vers les nouvelles puissances émergentes anti-occidentales, notamment les dictatures chinoise, russe et iranienne qui ont très vite saisi cette opportunité pour leurs intérêts économiques et géostratégiques.
Mélenchon, Maduro, même topo !
Que le président vénézuélien Nicolas Maduro ait accusé dès le 9 octobre dernier, Israël de « génocide » contre les Palestiniens, après l’annonce israélienne d’une offensive à venir sur de la bande de Gaza, ne pouvait surprendre quiconque est un peu au fait de la vulgate chaviste et des liens désormais anciens entre les régimes vénézuélien et iranien. Au Venezuela, l’emprise islamiste a notamment été favorisée par la nouvelle Tricontinentale anti-impérialiste que Chavez avait tenté de créer en nouant des liens étroits avec les pays arabes et/ou musulmans, producteurs ou non de pétrole, et tout particulièrement avec l’Iran des mollahs. Le ministre de l’Intérieur et (!) de la Justice de 2008 à 2012, Tarek El Aissami, d’origine syro-libanaise a été une pièce majeure du dispositif, fournissant par exemple des passeports vénézuéliens à de nombreux terroristes islamistes.
De même, le communiqué du ministère cubain des Affaires étrangères considérant l’immense pogrom commis par le Hamas comme « une conséquence de 75 ans de violation permanente des droits inaliénables du peuple palestinien et de la politique agressive et expansionniste d’Israël », n’a rien d’étonnant étant donné la matrice idéologique de Cuba et sa dépendance économique à l’égard des trois totalitarismes anti-Israël (russe, chinois et iranien). En revanche, les mesures brutales d’autres pays de la région à l’encontre de l’État d’Israël sont plus inquiétants.
La Bolivie rompt ses relations avec Israël, les ambassadeurs chilien et colombiens rappelés
Ainsi, mardi 31 octobre 2023, le gouvernement bolivien annonçait la rupture de ses relations diplomatiques avec Israël en raison de l’offensive dans la bande de Gaza consécutive aux attaques menées par le groupe terroriste du Hamas le 7 octobre. Le même jour, le Chili et la Colombie rappelaient leurs ambassadeurs en Israël en signe de protestation dans le même sens. Le président colombien Gustavo Petro étant allé précédemment jusqu’à utiliser le terme de « néonazis » pour désigner les personnes « prêchant la destruction du peuple palestinien », et il avait comparé Gaza au camp d’Auschwitz.
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Non sans fondement, dans sa réaction, Israël a qualifié ces décisions de « capitulation face au terrorisme et au régime des ayatollahs en Iran », selon les mots du porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien dans un communiqué. Hormis la parenthèse du mandat de Mauricio Macri en Argentine (2015-2019) et l’exception uruguayenne, l’ensemble de la région latino-américaine connait en effet à bas bruit, une mise sous influence iranienne depuis de longues années.
L’Iran a conduit une politique étrangère offensive dans la région, notamment depuis 2007 lorsqu’il devint étrangement membre de l’ALBA, cette association politico-économique « bolivarienne ». Et en octobre 2021, l’Iran affirmait encore vouloir « faire des pays d’Amérique latine l’une des priorités » de ses relations commerciales. Par ailleurs, le Hezbollah est bien implanté dans la région. Il s’y est investi dans le narcotrafic et le blanchiment d’argent à travers un réseau de casinos notamment. Mais il se présente également à visage découvert, comme dans l’espace de « la Triple frontière » (au croisement de l’Argentine, du Brésil et du Paraguay) où il bénéficie du soutien financier et moral de communautés syro-libanaises influentes, autant musulmanes que chrétiennes, implantées depuis plusieurs décennies (et parfois dès la grande vague migratoire transatlantique entre 1880 et 1914). Une mosquée à Foz do Iguaçu (Brésil) et deux à Ciudad del Este (Paraguay), ainsi que deux sheiks – un dans chacun des deux pays -, témoignent ainsi ce cette présence affichée.
L’islamo-gauchiste et le populisme néo-péroniste font bon ménage en Argentine
En Argentine, on sait que plusieurs groupes terroristes islamistes sont actifs depuis les attentats de 1992 contre l’ambassade d’Israël et 1994 contre la mutuelle juive AMIA. En 2007, d’ailleurs, 6 millions de dollars en provenance du Venezuela aurait principalement été distribués à ces groupes basés à Buenos Aires. Mais cette manne aurait également servi à donner un coup de pouce à la campagne présidentielle de Cristina Kirchner. La convergence idéologique islamo-gauchiste avec le populisme néo-péroniste est d’ailleurs très cohérente : reconverti à la dénonciation « décolonialiste », le kirchnérisme exprime désormais le vieux penchant péroniste historique à l’antisémitisme, dans un antisionisme typique du justicialisme du « privilège blanc » qui s’est développé à travers le monde depuis les années 2000 et dont les Juifs, figurés comme des colonisateurs exterminateurs, avides et fourbes, font également les frais.
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Certes, la fibre populiste se retrouve dans plusieurs pays latino-américains avec ses différentes idiosyncrasies. Par ailleurs, la présence de population d’origine syro-libanaise, et tout particulièrement arabe de Palestine comme au Chili qui a accueilli une forte immigration palestinienne dans les années 50-60, pèse dans la balance en faveur de manifestations de soutien à « la cause palestinienne ». Mais la généralisation récente des discours politiques et des prises de positions gouvernementales anti-Israël à travers toute la région, cette affirmation d’une hostilité latino-américaine à l’égard d’Israël, marque une nouvelle étape dans la constitution d’un bloc anti-occidental de plus en plus puissant à l’échelle internationale.
L’Amérique latine refuse désormais sa dimension « d’extrême-occident » comme pouvait la qualifier avec justesse Alain Rouquier dans les années 80. Aussi la région a-t-elle été pleinement partie prenante du lancement du mouvement « décolonial » dès les années 90 autour notamment des universitaires militants Enrique Dussel et Ramón Grosfoguel. Ceux-ci ne participaient-ils pas avec enthousiasme à « l’École de la pensée critique décoloniale », coordination internationale para-universitaire qui se réunit tous les ans à Caracas depuis 2016 (dans laquelle s’illustre aussi notamment la propagandiste indigéniste Houria Boutelja) ?
Le lointain passé colonial espagnol et l’hypertrophie de l’influence mythifiée des États-Unis font de la région un ancrage de choix pour l’idéologie décoloniale. Le « néolibéralisme » est conçu dans ce discours, davantage comme un système global tendant à asservir les masses du Sud que comme une catégorie économiciste décrivant la modalité actuelle du « stade suprême du capitalisme ». S’y articule alors un antisémitisme justicialiste que l’on retrouve systématiquement dans les déclarations condamnant Israël depuis une bonne vingtaine d’années. Mais que les massacres, les crimes contre l’humanité perpétrés par le Hamas contre plus de 1400 Israéliens, aient pu encore susciter jusqu’en Amérique latine cette sinistre rhétorique des « Juifs qui ont bien mérité ce qui leur arrive », cela constitue un signal d’alarme majeur auquel les démocraties occidentales doivent répondre impérativement avec clairvoyance et courage. Et en premier lieu, en ne faiblissant pas dans leur soutien matériel et moral à l’État d’Israël malgré l’émergence préoccupante de ce « Sud global » vindicatif, autoritaire et belliqueux.
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