Ils ont plus de soixante-dix ans, ils remplissent les salles, leurs tubes passent à la radio et le public en redemande. Lama, Vilard, Adamo, Mouskouri et Lenorman résistent à la cacophonie.
A l’Olympia, en février, il a mis les spectateurs K.O. Sonnés par un concert qui allait bien au-delà d’une performance technique ou scénique. Les fauteuils rouges s’en souviennent encore. Bruno Coquatrix pouvait être fier du petit. Les grands artistes ne minaudent pas. Ils s’imposent par leur talent et leur profondeur. Il y a bien sûr la voix, chaude et distincte, qui terrasse tout sur son passage. Cette langue française parfaitement restituée dans toutes ses nuances et anfractuosités. Les pleins et déliés d’un champ narratif qui s’étend à perte de vue. Cette puissance souveraine qui bouscule sans artifice, sans truc. Une façon naturelle, directe, franche de chanter et pourtant toujours empreinte d’une mélancolie sourde. Une interprétation qui fait résonner le passé. Quand Serge Lama, notre mémorialiste intime, chante, c’est la France qui sent sa terre frémir, notre identité confuse reprend enfin consistance, notre âme peut alors dériver au gré de son répertoire. Il a sédimenté nos émotions sans jamais les trahir ou les moquer. D’aventures en aventures, de train en train, de port en port, il n’a pas transigé, il n’a pas succombé aux sirènes du disco, de la pop ou du rock. Le marketing musical ne pouvait façonner un tel chanteur populaire, intemporel et immarcescible.
Cet empereur du microsillon, fracturé par les aléas de la vie, a démarré sa tournée depuis octobre 2017 et continue jusqu’à l’été. « Je débute exprime l’impression que j’ai tous les soirs quand je monte sur scène » dit-il, en préambule de son nouvel album. Chez d’autres, cet accès de modestie pourrait faire sourire, chez lui, elle serre le cœur. Car Lama, timide et secret, bataille depuis si longtemps avec les mots, il sait le combat de la sonorité juste et de l’harmonie lexicale, à la fois harassant et fascinant. Quand ce poète de l’impossible grimpe sur scène, il met une telle intensité que son public n’a pas d’autres choix que de le suivre et de succomber à ce parfum d’éternité. Le 9 février dernier, à La Seine Musicale, avait lieu la 33ème cérémonie des Victoires de la Musique. Un événement où le ridicule et la prétention confinent à l’hallucination collective. Connaissant la démagogie du système, il est à parier que certains textes de ces nouvelles idoles seront bientôt enseignés au collège ou au lycée.
Ça revient comme une chanson populaire !
Passons sur la faiblesse de la rime et l’apathie du rythme, au même moment, ce soir-là, Serge Lama débutait son tour de chant sur le boulevard des Capucines. Indiscutablement, il ne boxe pas dans la même catégorie que tous ces faiseurs éphémères et vains. Il ne pratique pas le même art. Il n’a pas vocation à divertir, à occuper l’espace médiatique, à s’exprimer maladroitement devant des téléspectateurs atterrés par une telle médiocrité. Incapable d’élever le niveau, le service public doit-il nécessairement nous ensevelir sous un tombereau de fausses notes ?
Si vous n’avez jamais vu, ni entendu Lama entonner « Les ballons rouges » ou « Les Glycines », c’est une faute impardonnable. Avec ce solitaire écorché, vous ne vous sentirez plus jamais seul. Les milieux culturels ont fait tant de mal à la chanson populaire ces trente dernières années, préférant toujours mettre en avant les manipulateurs et les radoteurs. Par aveuglement idéologique et inculture, ils ont souvent confondu succès commerciaux et daubes. Comme si l’anonymat était un signe de qualité. Et si les gens avaient simplement une bonne oreille. S’ils étaient sensibles à des textes bien écrits, interprétés avec ferveur et vérité, des mélodies qui parlent des existences simples. On sourit bêtement quand le nom d’Hervé Vilard est prononcé à la télé.
Il y a un mépris de classe et une injustice crasse. Car le berrichon chantant, par sa folie et sa virtuosité, est un artiste de tout premier plan. Ses ritournelles transpercent les âges. Elles sont comme en lévitation dans le cloaque ambiant, « comme un défi au temps, le printemps avant le printemps ». Ce garçon qui a vendu 40 millions de disques sera les 5 et 6 mai prochains à l’Olympia pour ses « Dernières » représentations.
Ne le ratez surtout pas ! Avant lui, les 15 et 16 mars, Adamo a fait tomber la neige dans cette même salle. Le grand retour de Nana Mouskouri s’est effectué à Pleyel, le 8 mars.
Et comment ne pas évoquer la figure quasi-christique de Gérard Lenorman qui sillonne la France toute l’année. Il suffit de tomber un jour, par hasard, sur « Les matins d’hiver » sur une station de radio pour comprendre que la chanson populaire est un art majeur, indispensable à notre survie.
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