Un prince, une ancienne députée, des ex-officiers militaires d’élite, un chanteur lyrique, un pilote de ligne, un célèbre chef de cuisine, des employés tout ce qu’il y a de plus ordinaires… Voici la liste hétéroclite des 25 personnes arrêtées après qu’un projet de coup d’État a été déjoué par les services secrets allemands. Analyse.
Le 7 décembre, l’annonce du démantèlement d’une officine terroriste en Allemagne a fait l’ouverture de tous les journaux télévisés. L’information a provoqué une onde de choc dans un pays qui a assisté en direct à l’arrestation télévisée de diverses personnes, toutes accusées d’avoir voulu perpétrer une tentative de coup d’État visant à renverser les institutions en place, prendre le Reichstag et instaurer une monarchie. Vingt-cinq personnes au profils différents, issues de toutes les couches de la société. À la tête de ce groupe, le prince Henri XIII de Reuss dont les racines généalogiques plongent au plus profond de l’histoire du Saint-Empire Romain germanique et dont la famille fut à la tête de son propre État jusqu’à la chute du Second Reich en 1918. Tous sont membres ou sympathisants d’un mouvement appelé les Reischbürgers (Citoyens du Reich) qui connaît un regain d’intérêt depuis une décennie en Allemagne. Selon eux, l’État fédéral, qui reposerait sur un flou juridique, n’a aucune légitimité constitutionnelle. Composés de monarchistes, complotistes, néo-nazis, nationalistes, anti-européens, révisionnistes, d’antivax…, ils sont plus de 10 000 à adhérer au programme de ce mouvement qui arbore les couleurs de l’Empire défunt, remet en cause le Traité de Versailles et qui n’a pas hésité à tenter de s’emparer du Bundestag au plus fort des manifestations contre les restrictions anti-covid-19 de 2020.
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Réunis sous le nom d’ « Union patriotique », les comploteurs avaient élaboré un gouvernement de substitution avec une ancienne députée de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) nommée ministre de la Justice, connue pour ses propos anti-migrants, et dont le septuagénaire prince de Reuss aurait été le Régent. Ils avaient dressé une liste comportant plusieurs figures de la vie politique allemande à embastiller et d’autres à enlever comme le chancelier social-démocrate Olaf Scholz ou le ministre de la Santé, Karl Lauterbach. Mais ce qui a le plus inquiété le procureur en charge de cette affaire, c’est la participation à ce putsch de plusieurs éléments appartenant au corps d’élite KSK 9 (en 2017, un complot avait été déjà découvert, mêlant pas moins de 200 membres de la Bundeswehr, l’armée allemande, visant à s’emparer du pouvoir et à assassiner diverses personnalités politiques de la droite comme de la gauche). Il a d’ailleurs pointé du doigt les relations entretenues par les putschistes en herbe avec d’autres groupes russes ou italiens (visé, le Kremlin a démenti toute implication dans le complot). Une radicalisation de l’extrême-droite désormais prête à passer à l’action et qui n’est pas sans rappeler certains événements vécus par les Allemands durant l’Entre-deux-guerres. C’est d’ailleurs le second putsch qui a été éventé en deux mois par les services secrets. En octobre dernier, une grand-mère de 75 ans, à la tête d’un groupe similaire, avait été arrêtée, projetant également de renverser le gouvernement, provoquer le chaos et de planifier le retour de la monarchie prussienne (selon un sondage daté de 2016, seul un Allemand sur six souhaite le retour d’un monarque à la tête de l’Allemagne).
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La menace venant de l’extrême-droite a souvent été négligée par les gouvernements qui se sont succédés avant le retour de la Gauche plurielle au pouvoir. Le dispositif déployé à travers toute l’Allemagne, 3000 policiers, démontre que l’affaire reste d’une ampleur conséquente d’autant que le ministre fédéral de l’Intérieur a annoncé que d’autres personnes, une vingtaine de plus, étaient aussi recherchées pour leur participation à cette tentative de putsch. Seconde force d’opposition, l’AfD, mouvement d’extrême-droite qui compte 79 députés au Bundestag, s’est empressé de se désolidariser de ce complot, le condamnant vivement tout comme le chef de la dynastie Reuss qui a regretté que son cousin se soit « perdu » ou encore le prétendant à la couronne impériale, le prince Georg-Friedrich de Hohenzollern qui a rappelé son attachement à la démocratie. Un complot qui tombe assez mal pour l’arrière-petit-fils du Kaiser Guillaume II, dont se revendique les Reichsbürger, alors que celui-ci tente de récupérer les biens dont sa famille a été expropriée en raison de ses liens étroits avec le régime nazi.
Face à la montée croissante de l’extrême-droite en Allemagne, celui des Reichsbürgers, le gouvernement pourrait légiférer très rapidement afin de mettre en place des mesures drastiques visant à sécuriser les institutions telles qu’un meilleur contrôle des armes à feu, l’épuration de l’administration de tous fonctionnaires soupçonnés d’être proches de l’extrême-droite (en mai dernier, 17 policiers ont fait l’objet d’une procédure disciplinaire en raison de leurs liens supposés avec la mouvance néo-nazie dans le seul État de Saxe-Anhalt) ou encore une surveillance du parti AfD considéré par une majorité d’Allemands comme une menace sérieuse d’atteinte aux libertés en cas d’arrivée au pouvoir dans le pays. « Nous sommes une démocratie qui se défend, soutenue par tous », a réagi de son côté le chancelier Olaf Scholz, peu de temps après la tentative avortée de putsch. « Ceux qui veulent diviser, ceux qui prévoient un coup d’État violent, doivent compter avec nous », a-t-il averti d’un ton ferme sur son compte Twitter. Le tout sur un air de déjà vu.
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