« Piss Christ », une photographie signée Andres Serrano, a été vandalisée ce dimanche à Avignon par des individus qui, pour couronner leur forfait, auraient crié « vive Dieu », lequel n’en demandait sans doute pas tant…..
L’œuvre détruite représente un crucifix en plastique plongé dans un verre d’urine. Il paraît que l’auteur, en réalisant cette photo en 1987, au cœur de ces « années Sida » qui avaient rendu si anxiogènes les liquides corporels, voulait dépasser ces peurs en montrant de façon paradoxale que Dieu transcendait tout. Cette explication a manifestement quelque peu échappé aux iconoclastes du dimanche qui, le front bas et le marteau haut, ont considéré bêtement qu’en associant un symbole sacré à de l’urine on aurait, comme qui dirait, un peu dépassé les bornes.
Eternel débat, si l’on peut parler de débat lorsque les arguments font place aux coups de pioche, de burin ou de pic à glace (la police n’a pas encore établi avec précision l’arme du crime), entre la liberté artistique et le blasphème. Pour les outrés du jour, cette offense ne mérite qu’une punition exemplaire: la destruction.
Erreur fatale de nos croisés dominicaux qui semblent avoir oublié que le Christ en avait vu d’autres, et qu’après avoir tout enduré, il pouvait supporter avec bonté et placidité cette provocation au petit pied. Faut-il leur rappeler qu’un imprécateur catholique, un certain Léon Bloy avait dit, bien avant Serrano: « Il nʼy a que deux choses, entendez-vous, quʼon puisse mettre sur une tombe et qui y fassent un très bon effet : la Croix du sauveur des âmes ou un énorme excrément humain ! Choisissez donc canailles ! »
Léon Bloy : 1/ Serrano : 0. Ainsi pourrait-on résumer trivialement la situation. Par pitié, que l’on laisse donc ces œuvres là où elles sont et que l’on s’abstienne de leur donner ainsi une importance qu’elles n’ont sans doute même pas cherché à avoir. L’intérêt de cette affaire est ailleurs, dans ce qu’elle révèle du rapport de notre société à la culture. Comme le dit Jean Clair dans un livre lumineux nous sommes passés des temps anciens qui pratiquaient la culture du culte (églises, retables, vitraux, statuaires, art religieux…) à l’actuel culte de la culture, célébré dans des musées, « installations », expositions et autres foires de l’art. Dans ce culturel à tout prix qui prétend instaurer la culture pour tous, les musées sont les entrepôts de civilisations mortes où l’on expose des œuvres arrachées à leur milieu et privées de leur sens premier et profond, c’est-à-dire de leur transcendance originelle, que l’on range par époques ou par écoles. Alors que le travail des artistes consistait à transformer la matière (terre, pigment…) pour créer une œuvre, notre époque, dans son besoin de renouvellement compulsif et nihiliste, emprunte le chemin opposé. L’œuvre doit revenir à la matière, aux humeurs les plus intimes: les cheveux, les poils, les rognures d’ongles, les sécrétions, la salive, le pus, l’urine, les excréments, sans oublier le sang et le sperme qu’utilise notamment Andres Serrano.
Quels jolis temps nous vivons ! Alors, tant qu’à être traité de réactionnaire (je n’ose dire provocateur puisque cet adjectif est réservé à la création), je préfère poser la question de la valeur artistique de ces œuvres que jouer au Croisé lors du sac de Constantinople. Parce qu’avec des actes aussi navrants que cette vandalisation, on finira par donner raison à Yvon Lambert, propriétaire de « Piss Christ », qui affirme que le Moyen Âge revient à grand pas.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !