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Laissons les paysans travailler en paix


Crise agricole. Au lendemain des annonces du Premier ministre en faveur de l’agriculture, en Haute-Garonne, plusieurs barrages étaient levés dans le pays. 


« Les paysans sont sans cesse au travail et c’est un mot qu’ils n’utilisent jamais », disait le dramaturge russe Anton Tchekhov. Si les agriculteurs passent leur vie à travailler sans se plaindre, encore faut-il qu’ils arrivent à dignement en vivre. Aujourd’hui, trop d’entre eux en sont réduits à survivre. Le paysan est pourtant le cœur vivant de la France, j’oserais dire son âme. Nous sommes tous des descendants de paysans. L’arbre généalogique de la très grande majorité des Français contient principalement des ancêtres qui ont planté le blé, accompagné la croissance d’arbres fruitiers ou pris soin d’un bétail.

Dès avant la Guerre des Gaules et la conquête romaine, nos lointains parents Celtes et Aquitains aménageaient notre territoire en terres cultivables. Ils utilisaient déjà des techniques sophistiquées comme l’amendement des cultures. Leur maitrise de l’artisanat du bois leur a fait découvrir le tonneau, les attelages, la faux et le sarclage. L’ambition personnelle de Jules César ne fut d’ailleurs pas la seule motivation de l’invasion du territoire qui correspond quasiment parfaitement à celui de la France contemporaine. Les Romains enviaient en effet notre surproduction céréalière dont ils ont longtemps été dépendants. Notre territoire a très peu changé depuis. Il était aménagé par un dense réseau de cultures qui avaient remplacé les forêts. C’est peu connu, mais la Gaule pré-romaine comptait moins d’espaces forestiers que la France contemporaine.

Les Romains ont ensuite apporté leur savoir-faire en matière d’irrigation, enjeu majeur de cette révolte des « Agriculteurs en Colère » partie du sud-ouest au début de l’Automne. Qu’est-ce qu’un paysan ? C’est un homme du pays. Un gardien du territoire enraciné dans un terroir. Un connaisseur, aussi, de la nature. Pas la nature inviolée et personnalisée des tenants d’une écologie oublieuse de l’homme, dénuée d’anthropologie, mais les garants d’une nature modifiée et pensée par l’Homme et pour l’Homme. Le paysan est donc par nature un conservateur. Il n’est pas un réactionnaire rétif au progrès, son activité ayant été tout au long de l’histoire le point de départ d’innovations importantes, mais il n’aime pas qu’on lui impose de l’extérieur la façon dont il doit exercer son métier.

L’impasse de l’agriculture française

Les agriculteurs sont à l’image de la société française dans son ensemble. Ils sont épuisés et démoralisés. Epuisés par un environnement normatif contraignant, un corset fiscal et administratif ubuesque qui entrave toutes les énergies. Pour remplir un dossier de la PAC ou obtenir des indemnisations liées à la grippe aviaire ou à la fièvre des bovins, il faudrait être titulaire d’un double Master II. Les paysans les plus aisés doivent avoir recours aux services de cabinets de conseil pour toucher les aides auxquelles ils ont droit… Quand ce ne sont pas des drones qui survolent leurs champs pour vérifier qu’ils appliquent scrupuleusement des règles toujours plus pointilleuses, ils doivent attendre de longues journées pour enfin être reçus par le préfet du département qui leur délivrera les autorisations nécessaires pour l’épandage. Infantilisés, suspectés comme s’ils étaient des délinquants, ils doivent se soumettre à de constantes tracasseries et de petites humiliations alors qu’ils n’arrivent parfois plus à se payer.

Nous avons pourtant une agriculture qui est parmi les plus vertueuses du monde, respectant des normes écologiques et d’hygiène très strictes. Certaines sont parfaitement justifiées, utiles pour protéger la santé des riverains d’exploitations, des consommateurs, mais aussi pour préserver l’environnement. D’autres, beaucoup trop nombreuses, témoignent d’une déconnexion totale entre la réalité du terrain et les décideurs politiques, parfois simplement motivés par la crainte des activistes écologistes et des ONG qui attaquent régulièrement des projets de retenues d’eau ou des stocks de semences dans l’indifférence la plus générale. Ces gens sont animés par une foi relevant de la religion, opposés à la science et à la recherche qu’ils diabolisent. Ils prônent un grand bond en arrière et le retour à une agriculture anachronique, demandeuse en main d’œuvre et d’un rendement insuffisant pour nourrir les Français à un juste prix. Ces partisans de la « décroissance » refusent de comprendre le monde dans lequel nous vivons et sont prêts à nous entrainer dans des crises de subsistance, à tirer un trait sur nos exportations. Notre agriculture sait pourtant trouver un parfait point d’équilibre entre la qualité et le rendement. Qui a condamné, parmi la classe politique, le saccage des semences de tournesol de la coopérative Arterris de Castelnaudary au début du mois de mars 2021 ? Les pertes se chiffraient pourtant en million d’euros.

Jérôme Bayle, éleveur de bovins en Haute-Garonne, l’expliquait très bien au micro de BFM TV : « Je veux bien protéger la nature, je le fais au quotidien. Mais une jonquille trouvée dans un champ vaut-elle de menacer l’existence de quatre exploitations familiales transmises de génération en génération ? » Non, aucunement. Dès le Néolithique qui a amené l’homme à se sédentariser, la nature a été domestiquée. Nous en avons fait un jardin ! Aux sources de l’agribashing qui mine ce secteur se trouvent parfois des mouvements proches de l’ésotérisme, tels que l’anthroposophie ou l’agroécologie de feu Pierre Rahbi dont la ferme expérimentale n’a jamais été rentable en elle-même… L’État ne doit plus se soumettre aux pressions de ces lobbyistes et écouter ceux qui savent comment faire fonctionner la machine, qu’ils soient agriculteurs traditionnels, en bio ou encore en agriculture raisonnée. Montesquieu disait qu’il aimait les paysans parce qu’ils étaient « trop peu savants pour mal raisonner ». Aujourd’hui, ils ont fait des études et sont bien plus savants que certains de nos sachants sans s’être départis du bon sens que leur prêtait le Bordelais.

Une myriade d’institutions publiques s’acharnent aussi à leur mettre des bâtons dans les roues. Elles sont adossées à un droit de plus en plus incompréhensible, semblant dépourvu de tout sens commun. En pleine révolte, le Haut conseil pour le climat a ainsi publié un rapport demandant aux agriculteurs de « poursuivre la décarbonation de la filière et d’accélérer sa transition ». Maladroit quand les professionnels expliquent ne pas arriver à suivre le rythme draconien que leur impose le « pacte vert ». Ils ne sont pas contre l’idée, étant eux-mêmes les premiers à déplorer le changement climatique qui complexifie un peu plus leur tâche, mais ils ne peuvent pas se « transformer » totalement sans perdre des revenus et en aussi peu de temps. Dans un même ordre d’idées, le journaliste Amaury Bucco a rapporté divers cas ubuesques de paysans traqués par la police de l’environnement qui a mené plus de 10 000 contrôles en France depuis 2022, souvent à la demande de l’Office français de la biodiversité. Il rapporte le cas de Jean-Pierre, éleveur de limousines depuis 30 ans, qui a été condamné après avoir manifesté sa colère. Les zélés agents publics l’empêchaient d’utiliser une source d’eau de son propre terrain… Au lyssenkisme des pseudo-scientifiques s’ajoutent les méthodes de la police soviétique décidée à appliquer à la lettre les dizaines d’arrêtés préfectoraux qui pourrissent la vie des ruraux.

Concilier l’inconciliable

Ce problème normatif qui concerne tous les Français et singulièrement les paysans n’est pourtant pas l’unique défi du secteur. Ils sont nombreux. Le premier d’entre eux est celui de la distorsion de la concurrence internationale. Il tient autant de la surtransposition des règles européennes par la France que de la philosophie commerciale et agricole de l’Union. Le libre-échange est un impératif logique dans le contexte qui est le nôtre. L’agriculture française ne peut pas tout produire, ne faire qu’exporter sans importer, et le tout en garantissant les prix bas qu’attendent les consommateurs et auxquels ils ont été habitués par la grande distribution. Certains traités bilatéraux peuvent d’ailleurs globalement profiter à notre agriculture. Longtemps présenté comme très risqué, le CETA n’a pas provoqué un afflux massif de bœufs canadiens. À dire vrai, il a plutôt profité à notre agriculture puisque nous exportons plus à destination de l’Amérique du Nord qu’autrefois sans que nos produits soient menacés sur notre marché intérieur. Nos atouts en ont bien profité, c’est-à-dire les produits laitiers et les vins et spiritueux, mais la filière bovine aussi.

Reste que cela ne se passe pas toujours bien. Le Mercosur suscite à juste titre une crainte, s’agissant d’un marché très peuplé qui produit dans des secteurs agricoles où nous serons moins concurrentiels avec des normes très différentes des nôtres, utilisant des méthodes proscrites par l’Union européenne. La France semble montrer la volonté de s’opposer à sa ratification. Concernant les produits importés issus de pays où le coût du travail est inférieur et les normes environnementales moins exigeantes, il existe des solutions et des choix à arbitrer. Faut-il protéger nos agriculteurs ou les livrer à la concurrence ? Faut-il produire différemment ? Il y a des alternatives possibles. Ces produits étrangers, hors fruits et légumes, sont principalement utilisés par les industriels pour les produits transformés. L’Union européenne nous permet d’afficher l’origine française d’une viande mais nous interdit depuis 2020 d’afficher l’origine étrangère. C’est honteux. Le consommateur a le droit de connaître l’origine géographique des produits qu’il consomme ainsi que leur mode d’abattage.

Si une barquette de poulet à la normande Findus affichait un drapeau brésilien pour le poulet avec la mention « abattage rituel » et un macaron espagnol pour les carottes, il n’est pas garanti que les acheteurs la prendraient en rayon. La commande publique et la restauration doivent aussi être impliqués. L’État a fait passer la loi Egalim, pour l’heure mal et insuffisamment appliquée comme l’a reconnu lui-même le ministre de l’Economie Bruno Le Maire, mais le service public n’achète pas uniquement en France la nourriture qu’elle donne dans ses cantines ! Quant aux restaurateurs, ils sont les premiers à acheter chez Metro des produits à l’étranger. Il faut plus les contrôler et attribuer des labels plus précis, ce qui passe aussi par une rééducation des Français au goût. Il est de bon ton de taper sur McDonald’s mais c’est un bon client des agriculteurs français alors que de nombreuses brasseries spécialisées dans l’assemblage plus que la cuisine nous servent de l’agneau néo-zélandais. Ça n’est pas souhaitable.

Il est illusoire de penser changer les règles du commerce mondial mais il est possible de s’y adapter et de rendre leur dignité à ceux qui nous nourrissent, en leur trouvant des débouchés commerciaux et en arrêtant de les contraindre. Nous devons aussi miser sur nos atouts et informer les consommateurs. Il n’est pas forcément beaucoup plus cher d’acheter chez un artisan que d’acheter des plats transformés quand on se penche précisément sur la question. Une carotte râpée maison a-t-elle un coût plus élevé qu’une carotte râpée Sodebo ? Non. Tout est une question d’équilibre. Les marchands et distributeurs, de la boulangerie de quartier aux hypers, ont aussi du mal à marger désormais. L’agriculture est symptomatique d’une France qui est plongée dans une crise économique rampante et majeure parce qu’elle a refusé de comprendre les règles du commerce mondial et qu’elle a enfermé tous les acteurs productifs dans une prison juridique et fiscale.

Les paysans français montrent la voie. Ils veulent tout simplement que l’État leur fiche la paix. Ils ne veulent pas vivre sous perfusion mais que le travail paie enfin. Comme nous tous. Nous avons affaibli considérablement notre industrie pour les mêmes raisons. Notre agriculture menace maintenant de sombrer.  Puis ce sera le tour de la construction, elle aussi étouffée par les normes. Et après ?




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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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