Plus de trois ans après la disparition de Philip Roth, Arnaud Desplechin adapte l’un des plus grands succès de l’écrivain américain, Tromperie. Un bel hommage, un pari réussi.
Décidément, certains cinéastes français ne manquent pas de culot quand il s’agit de passer de la littérature au grand écran. Le mois dernier, c’est Xavier Giannoli qui, avec ses Illusions perdues, réussissait le pari fou de transcrire Balzac sans le trahir : son succès d’audience fait chaud au cœur quand France 2 massacre allègrement le Germinal de Zola dans une série aseptisée. Cette fois, c’est Arnaud Desplechin qui a décidé de relever la gageure d’adapter l’un des plus beaux livres de Philip Roth, Tromperie. Est-ce bien raisonnable quand on sait que de surcroît la langue du film sera le français ? Oui, dans la mesure où pour le cinéaste-adaptateur, il s’agit d’une véritable obsession depuis la parution du livre de Roth au siècle dernier, en 1990. Trente ans plus tard, le film est là et bien là. Prêt à être dévoré par les adorateurs de Roth, persuadés à juste titre que personne ne peut envisager sérieusement de donner vie aux personnages labyrinthiques du romancier américain. Et pourtant, il faut l’avouer sans détour, Desplechin et sa coscénariste Julie Peyr sont parvenus à un résultat cinématographique qui rend hommage au génie de Roth sans jamais en faire trop.
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Si le pari est si difficile, c’est d’abord parce que le livre est un livre sur l’écriture. Du coup, Desplechin a choisi d’en faire un film en circuit fermé, comme l’est toute écriture littéraire. Avec, en majesté, la figure précisément de l’écrivain (Philip, incarné ici à la perfection par le brillant Denis Podalydès). Le lieu du film devient alors son bureau, lequel est aussi bien un cabinet de psychanalyse qu’une chambre à coucher pour amants fougueux. Et c’est évidemment le lieu de la parole, de toutes les paroles : entre amants précisément, on y parle des Anglais, de l’antisémitisme, de l’amour, de la fidélité, du désir et de l’exil, entre autres sujets. Il n’est pas innocent que ce film ait été tourné en plein confinement. En privilégiant ainsi le huis clos, il se montre particulièrement fidèle à Roth. Sans pour autant abandonner les récits annexes qui reviennent sur d’anciennes histoires d’amour de Philip. De ce point de vue, Léa Seydoux, Emmanuelle Devos et Anouk Grinberg rivalisent de talent et font naître des émotions profondes. Ces trois actrices exceptionnelles donnent au film son intensité.
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Mais, au-delà de ces indéniables qualités, il existe comme un cœur secret battant du film, qui tient à l’alchimie parfaite entre les univers de Roth et de Desplechin. Et qui explique assurément que Tromperie soit une merveilleuse réussite. Le livre, et donc le film, sont des réponses aux accusations stupides dont ont été victimes, chacun à leur tour, et le romancier et le cinéaste. Il y a seize ans en effet, avec un livre intitulé Mauvaise graine, l’actrice Marianne Denicourt, avec l’aide de Judith Perrignon, accusait Desplechin de s’être servi de sa vie et de ses drames dans ses films. Roth a subi les mêmes attaques en son temps. Accusations sans fondement au regard de ce qu’est la création littéraire. Mais accusations que Desplechin a plus de courage encore à relever et combattre en pleine vague #Metoo. Il revendique et assume haut et fort un cinéma de l’intime qui ne vampirise personne, mais retranscrit des états d’âme tellement individuels qu’ils en deviennent universels. Le cinéaste ne se réfugie pas derrière l’écrivain pour évoquer sa propre expérience. Il adapte simplement en connaissance de cause le propos de Roth. Leur proximité devient évidente au fil des images. Si l’adaptation de Desplechin est à ce point irréprochable, c’est qu’il a su s’approprier le livre : nulle « tromperie » dans sa démarche, juste l’idée qu’on peut adapter un autre et parler de soi sans jamais le trahir. C’est assurément ce que les accusatrices et de Roth et de Desplechin n’ont jamais compris ou voulu comprendre.