Faut-il virer Dieu du débat politique?


Faut-il virer Dieu du débat politique?
La Manif pour tous, à Paris, en février 2014 (Photo : SIPA.00674864_000068)
La Manif pour tous, à Paris, en février 2014 (Photo : SIPA.00674864_000068)

David Desgouilles : Votre livre, Virons Dieu du débat politique, fait un état des lieux sur le retour du religieux depuis une trentaine d’années. A vous lire, ce retour – de Kaboul à Washington en passant par les manifs contre le mariage homosexuel à Paris – est responsable de tous les malheurs du  monde. Ne jetez-vous pas le bébé avec l’eau du bain ?
Philippe David : Bien sûr que non. Je n’ai pas écrit ce livre pour combattre les religions – je suis moi-même croyant – mais pour dénoncer le mélange des genres entre religion et politique, qui a viré partout au désastre. En Afghanistan et en Iran, avant l’arrivée de l’islam politique au pouvoir, les filles se promenaient en jupe, étaient scolarisées dans des établissements mixtes (en Afghanistan, les filles ont été massivement déscolarisées sous le régime des talibans), l’alcool était en vente libre et la musique occidentale baignait les boîtes de nuit de Téhéran. Depuis, les jupes ont été remplacées par la burqa et le tchador selon le lieu. Les femmes sont devenues des sous-êtres humains. On pend les homosexuels et on lapide les personnes adultères. Sans oublier le recours au terrorisme mené depuis par ces états religieux : les bombes à Paris en 1986 étaient téléguidées depuis l’Iran et l’Afghanistan des talibans abritait de nombreux camps d’entraînement pour terroristes. Bref, on a assisté à un recul considérable.
George W. Bush a déclaré la guerre à un régime laïque, celui de Saddam Hussein, qui a été renversé par la coalition dirigée par les Etats-Unis et a été depuis remplacé par Daech. Bush, qui lisait des extraits de la Bible avant les conseils des ministres dans le bureau ovale, est donc devenu l’idiot utile de l’islamisme en l’amenant au pouvoir dans un pays stratégique au Moyen-orient avec, faut-il le rappeler, des conséquences tragiques pour les chrétiens d’Orient.
Enfin, pour la France, il est intéressant de constater que toutes les religions étaient unies dans les manifs contre le mariage homosexuel, alors que c’était une promesse de campagne du candidat élu, peut-être d’ailleurs la seule qu’il ait respectée à ce jour. Dans une République laïque, ce n’est pas aux religions de faire la loi. La démocratie, c’est le pouvoir du peuple ; elle est tout le contraire de la théocratie.

Vous semblez évacuer rapidement d’autres éléments que la religion. Par exemple, êtes-vous bien certain que les attentats de 1986 n’avaient pas davantage de motivations politiques et géopolitiques (contentieux Eurodif, Liban) ?
Bien entendu ! La principale cause des attentats était, outre Eurodif et le Liban, le soutien total de la France à l’Irak dans la guerre qui l’opposait à l’Iran. Rappelons simplement que l’Irak a déclaré la guerre à l’Iran avec le soutien total des Occidentaux, qui avaient abandonné le Shah lors d’un sommet à la Guadeloupe qui réunissait Carter, Giscard d’Estaing, Schmitt et Callaghan en janvier 1979. Une fois l’ambassade américaine prise d’assaut par les Gardiens de la Révolution, Carter a compris que Khomeini n’était pas « a man of faith and belief » (« un homme de foi et de croyance ») comme il l’avait dit lors d’une interview à Christian Malard pour justifier l’abandon du Shah. Dans cette région du monde, la religion a fait un retour en force mais n’a pas effacé l’importance des éléments géopolitiques et notamment le poids et le jeu parfois trouble des majors du pétrole. Dans un excellent livre sorti fin 2015, Mémoires d’Iran, signé par Amir Aslan Afshar, un des plus proches conseillers du Shah – un livre d’ailleurs préfacé par Christian Malard -, le Shah dit : « J’ai signé mon arrêt de mort le jour où j’ai signé avec une société pétrolière italienne un contrat qui accordait 75 % des bénéfices à l’Iran ». Le pouvoir du Shah avait été renforcé par un coup d’Etat ayant renversé le Premier ministre Mohammed Mossadegh qui voulait que l’Iran tire plus profit de ses ressources pétrolières. Il est quasiment certain que la CIA était à l’origine de ce coup d’Etat, à la demande de ces mêmes majors pétrolières. C’était en 1953 et, religion ou pas, le poids de ces compagnies dans cette région du monde est essentiel.

Vous voyez bien que la religion n’est donc pas forcément le centre… Mais parlons maintenant de la Manif pour tous. La démocratie, c’est le droit de vote, mais c’est aussi la liberté d’expression qui comprend notamment le droit de manifester. Beaucoup de gouvernements ont reculé suite à de grandes manifestations dans le passé. Pourquoi les manifestants qui défilaient derrière Frigide Barjot – qui n’a pas vraiment l’air d’une ayatollah – auraient dû renoncer sous prétexte qu’ils étaient du même avis que les trois religions monothéistes ? Je connais des manifestants qui n’avaient pas mis les pieds à la messe depuis vingt ans !
Le droit de manifester est bien évidemment un droit inaliénable à condition que les manifestations soient sans violences, ce qui était le cas des manifestations contre le mariage homosexuel. Pour connaître personnellement Frigide Barjot avec qui j’ai débattu de la place de la religion dans la politique il y a quelques mois sur Sud radio, je peux confirmer qu’elle n’a rien d’une ayatollah. En revanche, la manière dont elle a été débarquée de la Manif pour tous manquait pour le moins de courtoisie, ses remplaçants étant nettement moins tolérants qu’elle, notamment vis-à-vis des homosexuels qui sont des citoyens comme les autres. D’ailleurs, comme vous le rappelez, les trois religions monothéistes étant unies, on aurait aimé qu’elles condamnent d’une seule voix les pendaisons d’homosexuels en Iran, Afghanistan, Arabie saoudite mais elles font preuve sur ce sujet d’un silence de cathédrale (vous me pardonnerez l’expression). Enfin, François Hollande avait été élu en promettant cette réforme. On ne va quand même pas lui reprocher d’avoir respecté une de ses promesses de campagne tant les autres sont passées aux oubliettes !

«  On ne joue pas avec des allumettes mais avec de la nitroglycérine »

Reconnaissez qu’il y a une marge entre accepter qu’on pende des gens – ce qui n’a jamais été soutenu par les autorités religieuses de notre pays – et refuser ce que Madame Taubira qualifiait en ouverture du débat au Parlement de « changement de civilisation » ! Que je sache, la question de la filiation n’a jamais été abordée dans son ensemble pendant la campagne présidentielle. Faire des gens inquiets par ces évolutions sociétales des relais d’autorités religieuses forcément homophobes, n’est-ce pas profondément injuste ?
Quand on voit les propos tenus dans certains salons (l’affaire du salon de Pontoise, ndlr) qui ont créé la polémique il y a peu de temps, salons dans lesquels des organisations ouvertement islamistes prônent l’inégalité hommes-femmes et la charia, on imagine mal les organisateurs ou les participants prendre parti contre les pendaisons d’homosexuels !
Contrairement à Madame Taubira, qui veut toujours se donner plus d’importance qu’elle n’en a jamais eu – sauf dans l’échec de Lionel Jospin en 2002 -, je ne pense pas qu’il s’agissait d’un « changement de civilisation ». De nombreux pays ont adopté le mariage homosexuel avant la France et ne sont pas devenus Sodome et Gomorrhe pour autant ! Le mariage homosexuel a été une réforme sociétale, ni plus ni moins, et en ce qui me concerne je suis contre la GPA car l’humain n’est pas une boîte de haricots ou un litre d’huile qu’on achète dans un linéaire de supermarché. On ne s’épargnera d’ailleurs pas un débat sur la filiation un jour ou l’autre. En revanche, si tous les participants à ces manifestations n’étaient pas homophobes (je pense à Frigide Barjot), certains l’étaient ouvertement comme Christine Boutin qui a qualifié l’homosexualité d’« abomination ».

Le débat sur la filiation a eu lieu lors du débat parlementaire et il a été tranché en faveur des associations LGBT, mais passons. Vous écrivez que les convictions religieuses ne doivent pas interférer dans le débat public, mais les citoyens ne peuvent pas se couper en tranches. De même qu’on ne doit pas être inquiété lorsqu’on critique les religions ou qu’on les caricature (je fais allusion aux attentats de Charlie Hebdo), on ne peut reprocher à des citoyens d’exprimer une opinion qui repose sur leur foi. Si Christine Boutin a envie d’afficher que ses convictions sur l’homosexualité ou la contraception reposent sur sa foi, pourquoi lui reprocher ? D’autant qu’on ne le fait bizarrement pas lorsqu’elle fait de même en évoquant son refus de la peine de mort et sa lutte pour un meilleur traitement des détenus.
Il est vrai que les citoyens ne peuvent pas, comme vous le dites, « se couper en tranches », cependant si chacun veut que la loi soit faite en fonction de ses convictions religieuses, la cohabitation devient impossible. Ainsi, le musulman pratiquant demandera que les femmes soient voilées dans la rue au nom de ses croyances et que le vendredi devienne le jour de repos hebdomadaire tandis que le juif pratiquant demandera que ce soit le samedi car on ne travaille pas le jour du shabbat, les chrétiens restant sur leur position disant que le dimanche est le « jour du Seigneur ». Bref, en acceptant que les convictions religieuses reviennent dans le débat politique, on ne joue pas avec des allumettes mais avec de la nitroglycérine, car cela conduit inéluctablement au communautarisme, c’est-à-dire à de futures guerres de religion, qui n’ont plus cours en France depuis plus de trois siècles, et à l’implosion de la nation française.

Quelle est votre avis dans le débat sur les racines chrétiennes de la France et de l’Europe ?
Les racines européennes sont chrétiennes, n’en déplaise à certains qui, comme un certain Jacques Chirac, osait affirmer en 2003 que « les racines de l’Europe étaient autant musulmanes que chrétiennes ». Les édifices religieux historiques de l’Europe sont tous chrétiens ou presque, de Notre-Dame de Paris à la basilique Saint-Pierre de Rome. Certes, il y a la mosquée-cathédrale de Cordoue mais elle est un épiphénomène dans un continent qui est de civilisation occidentale et de culture judéo-chrétienne. Pour moi, il n’y a donc pas de débat sur cette question dont la réponse claque comme une évidence.

Dans votre livre, vous faites allusion aux « repas confessionnels » dans les cantines scolaires. Evoquez-vous les revendications de repas hallal ou casher, puisqu’à ma connaissance ils n’existent pas dans les cantines scolaires de notre pays, ou remettez-vous en cause les repas de substitution proposés lorsque du porc est servi ? D’autre part, êtes-vous de ceux qui souhaitent remettre en cause l’exception du Concordat qui régit encore trois départements métropolitains, ceux de l’Alsace et la Moselle ?
Dans certaines cantines scolaires, le porc a disparu des menus alors qu’il fait partie des traditions culinaires françaises. Quand j’étais enfant, dans les années 70, nous mangions tous à la cantine sans demander du casher pour les juifs ou du hallal pour les musulmans. Nous étions des élèves et les mots « communauté » et « communautarisme » n’étaient évoqués par personne. La France est un vieux pays de culture judéo-chrétienne et une République laïque qui ne reconnait aucune communauté et ceux qui viennent y vivre doivent s’adapter aux us et coutumes français et pas le contraire. Il faut d’ailleurs rappeler qu’un sélectionneur de l’équipe de France de football avait imposé le hallal pour tous, ce qui est quand même hallucinant ! Dans ce contexte, je ne vois aucune raison de proposer des repas de substitution.
Quant au Concordat, il s’agit d’une exception due à l’occupation de l’Alsace-Moselle en 1905 suite à la guerre de 1870 et, les choses ayant bien fonctionné ainsi depuis 1919 et le retour de ces territoires à la France, il n’y a aucune raison d’y toucher sauf à vouloir rallumer des braises qui peuvent encore couver dans ces régions marquées au fer rouge de l’histoire récente.

« Virons Dieu du débat politique ! », Editions Fauves, octobre 2015, par Philippe David, journaliste à Sud Radio et au Journal toulousain.



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