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Manif pour tous : Le FN ne lâche pas le mouvement


marion marechal le pen

Marion Maréchal-Le Pen ayant souhaité préciser sur deux points l’entretien qu’elle nous a accordé, c’est l’occasion d’exposer le processus de transformation de la parole en texte.
 Par Elisabeth Lévy
L’écriture des entretiens relève de l’alchimie. Ce processus de transmutation de la parole en texte est parfois source de divergences. Marion Maréchal-Le Pen a donc souhaité rectifier sur deux points ses propos publiés dans le dernier numéro de Causeur. C’est l’occasion d’explorer l’alambic, autrement dit d’exposer brièvement les règles du jeu d’un échange qui est par nature un affrontement, que l’on soit ou non d’accord avec l’interlocuteur.
La transformation de l’oral en écrit suppose en effet de remanier, reformuler, interpréter, pimenter, rythmer, bref réinventer. Si l’alchimie est réussie, le texte publié restitue la musique, la fluidité et les à-coups, les sautes de tension et les pas de côté d’une conversation. Mais il n’y reste pas grand-chose des phrases prononcées. Toute la difficulté est de faire en sorte qu’il soit vrai.
Les personnes que nous interrogeons sont donc les co-auteurs du texte, dans lequel elles sont libres d’amender leur partition. Aussi leur soumettons-nous la version finale. Toutefois, sachant qu’un texte peut toujours être amélioré, il m’arrive de céder à la tentation de passer un dernier coup de peigne après la relecture par l’intéressé. Il s’agit alors de corrections purement formelles et de coupes destinées à faire entrer le pied dans la chaussette.
Dans l’entretien que nous a accordé la députée du Vaucluse, j’ai supprimé la fin de sa réponse à une question sur l’IVG. Bien entendu, nous n’avons nullement déformé sa position (qui n’est pas hostile à l’avortement mais à son « remboursement intégral et illimité »). Elle affirmait ensuite que « ce n’est pas par la suppression et la répression, mais par l’éducation (….) », qu’on lutterait contre « le recours généralisé à l’IVG ». Quoique cette phrase fût en partie redondante, Marion Maréchal Le Pen tenait à enfoncer le clou. S’agissant d’un sujet sensible sur lequel elle se sait attendue au tournant, on peut le comprendre.
L’autre point contesté concerne ne concerne pas ses propos mais les nôtres. Il est naturel en effet que le questionneur jouisse de la liberté qu’il garantit au questionné – liberté incluant le droit au remords et la possibilité de corriger les effets de l’esprit de l’escalier. Les interventions de la rédaction n’ont pas seulement vocation à interroger, mais aussi à affirmer une position, marquer une distance, exprimer de la colère, du scepticisme ou même de l’approbation. En l’occurrence, j’ai voulu expliquer ce qui, de mon point de vue, est problématique dans la défense que le FN fait de la laïcité, en insérant a posteriori la phrase suivante : « en somme, la laïcité est pour vous un moyen de contenir l’islam. Et le communautarisme des catholiques ne vous soucie que dans la mesure où il pourrait encourager celui des musulmans.» Je maintiens cette interprétation, qui relève de ma seule responsabilité. Il est vrai cependant que cette affirmation peut passer pour une interpellation et que Marion Maréchal Le Pen n’a pu y répondre. Nous l’avons invitée à le faire ici.
Que d’explications pour des problèmes mineurs, pensera-t-on. Sans doute, d’autant plus que les modifications concernées me semblent, en l’occurrence, aussi défendables que contestables. Mais la confrontation civilisée suppose de faire droit au point de vue de « l’adversaire », même si on ne le partage pas entièrement. Nous n’avons aucun problème à admettre des erreurs. À la seule condition qu’on ne mette pas en doute notre intégrité.
Les passages litigieux modifiés sont en italiques dans le texte ci-dessous.

Causeur. Personne n’avait prévu que la loi Taubira susciterait une protestation aussi massive. Comment l’analysez-vous ?
Marion Maréchal-Le Pen. Comme un réveil des consciences ! Les gens ne se sont pas mobilisés pour les retraites ou le taux de TVA, mais pour des valeurs : l’humain, le sacré, la famille, le droit des enfants. C’est un petit retour de flamme.
Qui a allumé la mèche ? Un nouveau peuple de droite, plutôt catholique, que l’on ne connaît pas très bien ?
À l’origine, en effet, le mouvement n’a pas été inspiré par un parti, mais impulsé par les réseaux catholiques. Son unique « personnalité », Frigide Barjot, en a d’ailleurs été exclue quand elle a voulu jouer au leader politique. Au fil des manifestations, la mobilisation s’est élargie à des gens qui, s’ils sont majoritairement à droite, ne sont pas tous croyants. Au passage, j’observe que la France, aussi déchristianisée soit-elle, a réagi bien plus vigoureusement à l’adoption du mariage homosexuel que des pays encore très catholiques comme l’Italie ou l’Espagne.
Puisque vous mentionnez l’Italie et l’Espagne… les vacances vont-elles mettre un point final à l’épisode des Manifs pour tous ?
Non. Je pense que ce mouvement va perdurer pour s’inscrire dans une contestation plus large. À condition de s’emparer d’autres sujets, comme le droit de vote des étrangers et la souveraineté. Savez-vous que l’UE réfléchit à une législation commune sur la GPA ? Il est temps que les électeurs comprennent que tout est lié…
Si cette mobilisation a un avenir politique, quel rôle le FN doit-il y jouer ?
Toute la difficulté est d’accompagner, sans chercher à le récupérer, un mouvement qui ne se veut pas politique et encore moins partisan. C’est ce que nous avons fait jusque-là : face à ceux qui dénonçaient une contestation « homophobe » et « radicale », menée sous l’égide de l’extrême droite, il fallait défendre les manifestants et montrer que ce débat concerne la famille, la liberté, la démocratie. Nous n’allons pas les lâcher maintenant !
Vous faites mine d’oublier que votre électorat, comme votre parti, sont très divisés sur la question. Vous avez pris une part active aux manifestations que Marine Le Pen et Florian Philippot ont boudées…
N’exagérons rien. Il y a certes une différence entre la base militante du parti, clairement opposée au mariage homosexuel, et une partie de nos électeurs qui, selon certains sondages, sont sur des positions plus « progressistes ». Mais je considère que nous avons une ligne politique et que, si une partie de l’électorat ne nous suit pas, notre rôle est de le convaincre, pas de le suivre. Quant à Marine Le Pen, n’oublions pas qu’elle a été la seule personnalité politique à prendre solennellement l’engagement d’abroger cette loi une fois au pouvoir ! Il est vrai que je suis allée sur le terrain, alors que Marine a préféré dénoncer la manœuvre de diversion qu’était le « mariage pour tous ». J’assume nos différences de stratégie. Pour en avoir discuté avec elle, je pense que nos positionnements étaient complémentaires.
Façon élégante de dire qu’il y a un partage des tâches. Sauf qu’à vouloir ratisser large, vous finissez par faire le grand écart…
Il n’y a aucun partage des tâches, mais un souci légitime de s’adresser à tous les Français. Les dernières élections locales ont amené vers nous un nouvel électorat, venu non pas de l’extrême gauche comme par le passé, mais de la gauche. En s’ancrant à droite, Marine Le Pen créerait un a priori négatif chez eux. Je suis convaincue que le positionnement « Ni UMP, ni PS » est le bon choix pour le FN.
Et si la Manif pour tous s’emparait d’autres questions sensibles, comme le droit à l’avortement – encore un sujet qui vous oppose à Marine Le Pen –, comment réagiriez-vous ?  
S’ils veulent mobiliser massivement et dans la durée, ils ne doivent pas se cantonner au triptyque mariage/embryon/avortement, aussi légitime soit-il. Le Front national est le seul mouvement à avoir toujours voulu redonner sa dimension sacrée à la vie en remettant en cause le remboursement intégral et illimité de l’avortement. Sur plus de 237 000 IVG par an, les mineures ne représentent même pas 10%  des cas ! Sur une question aussi sensible, ce n’est pas par la suppression et la répression mais par l’éducation, par des lois favorisant l’accueil de la vie et un meilleur soutien financier aux familles que nous lutterons efficacement contre le recours généralisé à l’IVG.
Après s’être invités au cœur du débat public, les catholiques pourraient-ils remettre en cause la laïcité à la française ?
Toutes les religions ont naturellement tendance à investir la sphère publique, à confondre temporel et spirituel. C’est à la République de poser les limites, ce qu’aujourd’hui elle ne fait plus face à l’islam. Pour notre liberté à tous et pour nous permettre de lutter efficacement contre les revendications politico-religieuses de l’islam, les catholiques ne doivent pas se risquer à contester la laïcité.
En somme, la laïcité est pour vous un moyen de contenir l’islam. Et le communautarisme des catholiques ne vous soucie que dans la mesure où il pourrait encourager celui des musulmans.
Absolument pas ! Je suis une laïque de conviction ! Si je combats les revendications politico-religieuses de l’Islam ce n’est pas pour que les curés fassent de la politique en France.
Pourtant, le communautarisme catholique peut tout autant contribuer à la ghettoïsation…
C’est un risque. Et le mépris anticatholique de nos élites n’arrange pas les choses. Néanmoins, les jeunes catholiques que j’ai vus dans les rangs de la Manif pour tous ont une vraie intelligence politique. Ils ont compris qu’aujourd’hui, pour gagner, ils ne pouvaient plus se permettre d’être « puristes » et de porter comme seul  projet la doctrine sociale de l’Église.
Espérez-vous bénéficier des retombées des Manifs pour tous lors des élections municipales de 2014 ?[access capability= »lire_inedits »]
Peut-être. En tout cas, nous devons regarder vers l’Ouest, là où les choses pourraient commencer à se jouer. Notre marge de manœuvre se trouve désormais là-bas.
Pourtant, malgré les ascendances bretonnes des Le Pen, c’est l’un de vos déserts électoraux depuis quarante ans…
 L’Ouest était jusqu’ici assez préservé de la crise économique et des difficultés liées à l’immigration. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ainsi, des grandes villes comme Rennes ou Nantes voient arriver une nouvelle population d’immigrés tandis que montent les revendications communautaristes des Français issus de l’immigration récente. Les Bretons, qui ont une forte identité, voient tout cela d’un assez mauvais œil.
À propos d’identité locale, contrairement à Marine et à Jean-Marie Le Pen qui ont pris leurs distances avec les Identitaires qu’ils qualifient d’« européo-régionalistes », vous semblez être assez proches d’eux. Votre suppléant est issu de la Ligue du Sud : ce choix n’est pas innocent…
La Ligue du Sud ne se confond pas tout à fait avec les Identitaires. C’est un parti très local. J’ajoute qu’au sein des Identitaires il y a des tendances différentes et qu’officiellement, ils ne soutiennent aucun projet séparatiste. Néanmoins, leur régionalisme pourrait effectivement faire le jeu d’une Union européenne qui veut court-circuiter la nation par trois voies : l’intercommunalité, la région, et l’Europe. Pour nous, l’édifice institutionnel est composé de la commune, du département, et de la nation. Ces trois strates, qui ont une existence charnelle, sont particulièrement efficaces.
Mais partagez-vous la conception ethnique de la nation des Identitaires ?
Je suis contre l’ethnicisme identitaire ! La France n’a jamais connu d’homogénéité ethnique. Notre histoire repose sur des peuples celte, germain, basque et latin qui, à force de mariages, de guerres, d’alliances, ont réussi à s’unir, et à constituer une nation, ce qui relève d’ailleurs du miracle. Je crois également à l’intégration, à condition que les politiques soient exigeantes et les flux d’immigration restreints. Nos origines et notre culture sont si hétérogènes que seule la force de la République et de l’État peut nous rassembler. Bref, je suis du côté de Renan contre Fichte.
Vous êtes sévère avec vos amis ! Dans ce cas, pourquoi vous allier avec eux ?
Nous partageons certaines préoccupations comme la lutte contre l’immigration et une certaine inquiétude face à la progression d’un islam de plus en plus radical. Les Identitaires restent attachés à une certaine forme d’identité à la française ainsi qu’à certaines valeurs, comme l’a montré leur opposition ferme au mariage homosexuel. Mais n’oubliez pas qu’il s’agit d’une formation numériquement modeste et donc politiquement peu représentative.
Puisque vous avez sorti la calculette, rappelons qu’en France, pour gouverner, il faut rassembler mais aussi nouer des alliances. Seriez-vous prête à négocier avec l’UMP sur des questions telles que l’euro ou le protectionnisme ?
 Sûrement pas ! Si nous commençons à défendre l’Union européenne, la politique d’austérité, la politique monétaire, en quoi serons-nous différents des autres partis ?  Notre « plus-value », c’est précisément de proposer une véritable alternative à l’UMP comme au PS. Une alliance avec l’UMP, dont nous critiquons la politique et le bilan, serait totalement incohérente. En revanche, j’espère bien qu’il y aura, au niveau municipal, des alliances avec des personnes.
En réalité, le seul sujet sur lequel vous êtes radicalement opposés à l’UMP, c’est l’Europe. Sur les autres sujets, notamment l’immigration et la sécurité, c’est parfois « blanc bonnet et bonnet blanc » – on le leur reproche suffisamment…
Si l’on juge par les paroles, c’est peut-être vrai, mais je m’intéresse d’abord aux actes, c’est-à-dire à la politique qui a été menée. Et de ce point de vue, le compte n’y est pas. Cela dit, il y a, au sein de l’UMP, de petits électrons libres. Mais ils sont isolés et  aujourd’hui inaudibles. C’est peut-être avec eux et grâce à eux que les choses pourraient évoluer.
Comptez-vous ouvrir des brèches au sein de l’UMP ?
Aux municipales, les digues de l’UMP vont céder dans le Sud car la porosité de l’électorat y est très forte. Le Front national y est mieux perçu qu’ailleurs et je crois que certains maires UMP préféreront déplaire à leur état-major plutôt que de perdre leur ville.
Il y a un point sur lequel Marine et vous parlez de la même voix, qui est que, selon vous, le FN change en profondeur. Avec quelle partie de l’héritage de Jean-Marie Le Pen voulez-vous rompre ? Ses déclarations sur l’Holocauste, « point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale » ? Celles sur « l’occupation allemande [qui] n’avait pas été particulièrement inhumaine, même s’il y eut des bavures, inévitables dans un pays de 550 000 kilomètres carrés » ?
Je ne suis pas Jean-Marie Le Pen et je ne vois pas pourquoi l’on me reprocherait des propos tenus alors que je n’étais même pas née !  Les déclarations politiques que vous citez ne font en rien partie du corpus idéologique de notre mouvement et n’entrent évidemment pas dans les motivations de mon engagement politique. J’admets une maladresse et regrette que nous ayons perdu tant de temps à nous justifier sur ces propos malheureux. Je comprends parfaitement que ces phrases puissent avoir été mal comprises et vécues douloureusement par ceux qui ont souffert de ces drames dans leur chair. Le Front national a été conçu, dès son origine, comme la maison commune de tous les patriotes et nationaux. Je crois honnêtement qu’il répondait à un désir de réconciliation. Pour conclure par un symbole qui m’est cher, rappelons-nous qu’à Carpentras, la dépouille (juive) profanée était celle d’un sympathisant actif du Front national…[/access]

Eté 2013 #4

Article extrait du Magazine Causeur



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