Nous avançons au pas le long du chemin de Savigny à l’heure où la foule se déverse de la mosquée Othman après la grande prière du vendredi. Les hommes en qamis, chaussettes blanches et claquettes de piscine, les femmes en hijab ou en niqab, zigzaguent en travers de la route. Certains y verraient la représentation incarnée du « Grand Remplacement ». D’autres remarqueraient que nous sommes les seuls Blancs dans un périmètre assez large de la ville de Sevran.
Au volant de sa voiture, J., qui souhaite garder l’anonymat pour des raisons de sécurité, s’égare dans le labyrinthe des allées de la cité avoisinante. En face de nous, une Audi flambant neuve pile devant un groupe d’adolescents à peine pubères. Le chauffeur, un jeune homme noir, leur tend un sachet de marchandise illicite, faisant abstraction de notre présence.
« Ici, on les appelle « les Afghans » »
Après la tenue, l’été dernier à Reims, d’« un camp d’été décolonial », interdit aux « non-racisés », c’est-à-dire aux Blancs, et à quelques jours de la conférence dédiée aux violences policières dans le cadre de l’atelier Paroles non blanches à l’université Paris 8, les damnés de la Terre ont réussi à imposer dans l’espace public un vocabulaire racialiste, basé sur l’idée de la culpabilité des Blancs envers les peuples colonisés et les immigrés. Il importe donc de préciser que nous sommes du côté des oppresseurs. En sortant de chez lui, quelques rues plus loin, J. s’est déjà fait traiter de « colon », et il n’est pas certain que son explication « mon père était paveur » y changera quoi que ce soit à l’avenir. Pourtant les « colons », coincés dans les banlieues rongées par le communautarisme et l’islam politique, ne sont pas les seuls à en souffrir.
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Militant de la Brigade des mères et ancien syndicaliste, J. écoute quotidiennement les plaintes de ses voisins musulmans issus de l’immigration, qui n’en peuvent plus des agissements de ceux qu’on appelle ici « les Afghans », ou bien « frérots salafs ». Passant devant la statue de François Mauriac, érigée fièrement à proximité d’une école coranique, « La maison des savoirs », nous ne pouvons réprimer un accès de rire convulsif. J. voudrait encore me montrer la parcelle destinée à accueillir une mosquée de 5 000 places. « Si les politiques ne font rien, il faut au moins qu’ils déclarent certaines villes religieuses et, surtout, qu’ils les entourent de murs. Le phénomène touche toute la France, pas que la Seine-Saint-Denis ! » s’insurge-t-il. Certes, Roubaix, Toulouse, Lunel, Marseille, Lyon ont chacune leur Molenbeek. Toutefois, J. hisse Trappes au sommet des villes les plus[access capability= »lire_inedits »] gangrenées, orientant la conversation sur le sujet des élections présidentielles : « Chaque candidat devrait se prononcer à propos de la laïcité. C’est le point essentiel. »
Avec un tiers des Français qui se dit « non religieux » et un autre qui se déclare « athée », selon un sondage de WIN/Gallup International de 2012, la question aurait en effet dû préoccuper les présidentiables. Pourtant, on n’a pas l’impression que c’est le cas. J. passe à un rapide examen : « Hamon sait qu’il va perdre, alors il prépare déjà les législatives et caresse l’électorat communautaire dans le sens du poil. Mélenchon n’est pas clair, il devrait faire le ménage dans ses rangs. Macron est un libéral, mais est-ce que face aux islamistes on a droit à toutes les libertés ? Le Pen n’est pas la solution, ce que je répète à mes amis musulmans tentés de lui donner leurs voix. Ces gens-là discutent d’abord avec des battes de base-ball. Ce ne sont pas eux qui vont nous libérer. Et j’en sais quelque chose parce qu’il y avait des syndicalistes FN, ici. Ils vont demander aux salafistes de tenir les quartiers. Les fascistes entre eux se comprendront toujours. Le pire, c’est Fillon ! Il se présente comme catholique politique et il veut combattre l’islam politique ? Alors ce sera la guerre des religions. » On peut ne pas partager ces opinions. Mais le sentiment que le problème est sans issue est, lui, largement partagé.
La stratégie du salami
Laurence Marchand-Taillade, présidente fondatrice de l’Observatoire de la laïcité du Val-d’Oise et auteur de L’Urgence laïque, décortique avec clarté le processus de l’accaparement du territoire par les franges les plus radicales de la communauté musulmane : « Il suffit de se constituer en une association d’une poignée de personnes, mais qui prétend représenter une majorité, pour exiger du maire des concessions. Soit le maire cède et il y a, à chaque demande, une nouvelle tranche du salami, soit il résiste en subissant des pressions quasi quotidiennes. » À Bagnolet, la machine est en marche. Alors que les citoyens de la ville espéraient le renouveau avec la victoire de Tony Di Martino (PS) aux municipales de 2014, le système de connivence avec les figures de l’islam politique, héritage de l’ancien maire communiste Marc Everbecq, refait surface avec force, poussant les derniers incorruptibles à dénoncer la consanguinité. Ainsi, le conseil municipal du 2 mars a-t-il été bruyamment interrompu par un agitateur affilié aux Indigènes de la République – que nous dénommerons X. pour ne pas lui offrir la visibilité médiatique qu’il ne mérite pas –, qui s’est lancé dans une diatribe contre une élue de la majorité, Marie-Laure Brossier.
Le tort de cette femme courageuse a été de dénoncer, en 2013, l’existence d’une école coranique illégale, hébergée par l’Association des musulmans de Bagnolet (AMB) –apparemment à son insu – dans les locaux municipaux. Aussitôt taxée d’islamophobe, Marie-Laure Brossier a fait l’objet d’une manipulation qui visait à lui attribuer des propos contre l’AMB, qu’elle n’a jamais tenus. Pour intenter un procès contre X. pour diffamation, l’élue a obtenu du conseil municipal la protection fonctionnelle, qui permet à l’assurance d’une ville de couvrir les frais de justice des élus, agents municipaux et fonctionnaires. X. a tenté de faire croire aux habitants de Bagnolet que l’argent dépensé pour le procès venait de leur poche et dépeint Marie-Laure Brossier, qui est proche du Printemps républicain, comme une extrémiste de droite. L’élue, qui se considère comme une citoyenne lambda, défend fièrement son statut de non-encartée. Pour avoir voté en faveur de sa protection, Michel Léon, président de l’antenne locale de la Ligue des droits de l’Homme, a subi des menaces ouvertes de la part de X., alors soutenu par un élu d’opposition, Jimmy Parat, intégriste anti-IVG qui se dit membre du parti « Français et Musulman ». « Il faudrait déjà que cet individu ait une existence légale, qu’il respecte la loi et qu’il représente réellement quelqu’un, ce qui n’est pas le cas », commente Michel Léon, à propos de X., jugeant la situation « préoccupante ». De son côté, Marie-Laure Brossier résume l’attitude de X. avec une lucidité qui fait défaut à nombre de nos représentants : « Quand tu commences à empiéter sur la bonne tenue des instances de la République, c’est que tu n’es pas loin de casser tout ce qui a été construit pour la représentation démocratique du pays. En violant les règles, X. affiche clairement son objectif, qui n’est pas autre que mettre la République à genoux. »
Il faut croire que c’est à peine une partie de l’ambitieux projet de ce fruste individu. Le 26 février, une conférence Citoyenneté et Islam a eu lieu à la mosquée Al-Islah à Montreuil. L’enregistrement que nous avons pu nous procurer montre qu’il s’agissait plutôt d’un meeting politique. Après une intervention, brève et policée, de l’imam Noureddine Aoussat qui invite ses coreligionnaires à voter lors de la présidentielle, la parole revient à X., qui leur dit pour qui voter : « La solution pour ne pas être trahis par les élus qui ont obtenu des voix grâce à la communauté musulmane est d’avoir nos propres représentants à l’instar de “Français et Musulmans”. » S’ensuivent une longue élucubration sur le traitement colonial de l’islam en France, le laïcardisme nourri par la volonté d’humilier les femmes voilées et la nécessité de parvenir à l’autonomie politique, et une conclusion optimiste : « Nous pouvons y arriver rien que par le poids démographique ! »
Hannibal ante portas
Assise dans la cabane du jardin partagé qu’elle a créé avec Pierre Mathon, Hélène Zanier, militante associative à Bagnolet Écologie et ex-élue des Verts, se remonte le moral : « On n’est pas à Sevran, ici. Enfin, pas encore. Il y a une classe moyenne à Bagnolet qui constitue une masse critique.» L’attachement à la laïcité n’en est pas moins le premier critère de ses choix électoraux : « J’aurais voté Valls, alors que pour une écolo faire une croix sur Notre-Dame-des-Landes, c’était dur. Mais on doit commencer par arrêter le totalitarisme. Je préfère mourir irradiée que sous une burqa. » Nous nous penchons sur l’article de Gérard Biard paru dans un des derniers numéros de Charlie Hebdo, dont Hélène Zanier est une fidèle lectrice depuis toujours : « Vu la façon dont la campagne électorale est engagée, écrit-il, Marine Le Pen risque d’être désormais la seule candidate à parler sans détours ni colifichets de laïcité. » Allumant une énième cigarette, Hélène Zanier acquiesce : « Il est vrai qu’elle a été la seule à refuser de porter le voile. Pourquoi les autres femmes politiques n’ont-elles pas osé ? »
Gilles Wallis, président de l’association Citoyens en actes, se joint à nous. Il était aux côtés de Marie-Laure Brossier lors de la bataille contre l’école coranique clandestine et s’étonne encore de l’incurie des instances publiques, que ce soit l’inspection académique ou la préfecture, incapables d’en venir à bout. Installé à Bagnolet en 1983, il a observé, d’année en année, les changements dans sa ville : « C’est indéniable, on voit de plus en plus de femmes voilées. Le vrai problème n’est pas la difficulté à s’intégrer, mais le refus de le faire. Dans certaines écoles on n’organise plus de classes vertes car les parents ne veulent pas que leurs enfants soient pollués par les mécréants. » Nous restons tard à parler des affaires locales – des agneaux de l’aïd achetés sur la réserve parlementaire d’un élu pour les familles pauvres, du faux scandale du délogement de l’association des Nubiens, des incessantes provocations de X. Que fera le maire afin de préserver son autorité ébréchée et protéger celle de la République ? Interrogé à ce sujet, Tony Di Martino n’a pas donné de réponse. C’est pourtant la question qui tracasse mes interlocuteurs autant que les résultats des prochaines élections. Un maire apeuré ou enclin à séduire l’électorat communautaire signifie que toute une ville risque de glisser dans la catégorie de « no go zone ». Pour combien de temps encore la proximité de Paris suffira-t-elle à protéger Bagnolet contre le danger de l’islam politique ?
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