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Laïcité: un étrange anniversaire

Ce qui ne va pas dans les vidéos anti-radicalisation gouvernementales du jour


Laïcité: un étrange anniversaire
D.R.

Alors que nous fêtons aujourd’hui l’anniversaire de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, le Secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) a choisi de diffuser de brèves vidéos de responsables religieux parlant de la laïcité, et dont les messages, hélas, ne sont pas sans poser quelques sérieux problèmes.


A l’heure où j’écris ces lignes, deux interventions ont été mises en ligne : celle du Grand Rabbin de France Haïm Korsia, et celle du Recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-eddine Hafiz.

D’ores et déjà, celle du Grand Rabbin a suscité bon nombre de critiques, souvent légitimes, de la part des défenseurs de la laïcité. Elle est pourtant animée d’une évidente bonne intention : réconcilier avec la laïcité ceux qui la verraient comme inévitablement hostile envers toute religion, voire la confondraient avec un athéisme d’Etat – ce qu’elle n’est évidemment pas, pas plus qu’elle n’est la négation de l’héritage culturel des religions qui ont contribué à forger notre société (paganismes, judaïsme, christianisme). Haïm Korsia inscrit très justement la laïcité dans le temps long de notre histoire et de notre identité, évoquant à travers le baptême de Clovis le refus, dès l’origine, que l’Etat se soumette à l’autorité temporelle de la Papauté. Les rois de France ne sont en effet jamais « allés à Canossa ». Sept d’entre eux furent excommuniés, et Philippe le Bel reste célèbre pour la manière dont il imposa sa volonté à l’Église. Bayard tenta de capturer le Pape pour l’obliger à soutenir politiquement la France, Napoléon se mit lui-même la couronne sur la tête, sans oublier que notre sainte la plus emblématique, Jeanne d’Arc, fut d’abord condamnée à mort par l’Église.

Ce qui cloche dans le discours de Haïm Korsia

On aurait tort, cependant, de ne voir là que séparation. Tout comme dans la loi de 1905 (et malgré son intitulé) il ne s’agit pas seulement de refuser que l’Etat se soumette à la religion, mais bel et bien d’imposer aux religions de se soumettre à l’état. Le gallicanisme est l’ancêtre direct du titre V de la loi dont nous célébrons l’anniversaire, celui relatif à la police des cultes, absolument fondamental et pourtant trop souvent oublié de nos jours.

Aussi, Haïm Korsia se trompe lorsqu’il affirme que la laïcité serait d’abord la « liberté de pratiques religieuses », même en précisant « dans la limite de la liberté des autres ». La servitude volontaire et l’emprise que peuvent exercer certaines religions sur leurs adeptes sont des phénomènes bien connus, souvent qualifiés de « dérives sectaires », et normalement combattus par les pouvoirs publics. La loi de 1905, dès son premier article, mentionne d’ailleurs des restrictions au libre exercice des cultes « dans l’intérêt de l’ordre public », que l’on aurait tort de limiter aux manifestations extérieures tapageuses.

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Quand à dire que la « neutralité absolue de l’État » ferait que celui-ci « ne prend pas parti pour ou contre une religion », c’est faux également : des cultes de type sectaire peuvent faire l’objet de sanctions pénales et être interdits. Que l’on songe à ce gourou enseignant « l’orgasme cosmique » aux filles prépubères de ses adeptes, ou à l’Ordre du Temple Solaire de sinistre mémoire et à ses suicides collectifs. Pas question d’un laisser-faire qui serait un blanc-seing délivré aux pires de ces sectes sous prétexte de leur dimension religieuse, en somme une démission de l’État et une exemption pour les religions de l’obligation de respecter la loi commune. A ce titre, la décision du tribunal de Toulouse de relaxer un imam sous prétexte que ses propos antisémites étaient extraits de textes religieux a été une négation de la laïcité, heureusement contestée par le Parquet.

Bien sûr, le judaïsme que représente Haïm Korsia est en parfaite conformité avec les lois de la République Française. Mais en exposant la laïcité comme il le fait, le Grand Rabbin est un peu comme un bon conducteur qui décrirait le code de la route en passant totalement sous silence le fait qu’un chauffard devrait normalement se voir retirer son permis…. Regrettable oubli, à l’heure où ce qui menace par-dessus tout les libertés fondamentales des Français – et parfois leur vie, au premier chef celle de nos concitoyens Juifs – est justement une idéologie religieuse, fort habile pour exploiter à son profit les interprétations trop « souples » de la laïcité.

Les contre-sens de Chems-eddine Hafiz

De son côté, Chems-eddine Hafiz fait des contre-sens similaires, quoi que probablement pour d’autres raisons. N’oublions pas sa rhétorique effarante d’inversion des responsabilités face à Mila, à qui il avait dit « pardonner » alors qu’il aurait dû au contraire implorer son pardon pour tout ce qu’elle subit au nom de l’islam et à cause de l’islam ! Ni sa participation à un projet de formation des imams de France noyauté par les réseaux des Frères Musulmans, ainsi que l’a fort justement dénoncé Thibault de Montbrial.

Le Recteur affirme donc que « toutes les religions ont leur place ici en France. » Eh bien non : certaines tombent sous le coup de la loi, comme l’OTS et autres Mandarom, mais aussi divers groupes évangéliques venus d’Outre-Atlantique ou, bien évidemment, les courants de l’islam appelant à la mise à mort des apostats ainsi que le rappelait en 2016 l’actuel Grand Imam d’Al-Azhar. Ou plutôt devrions-nous dire qu’ils tomberaient sous le coup de la loi si les pouvoirs publics avaient le courage de la faire appliquer : la loi de 1905, mais aussi le livre IV du Code Pénal « des crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique » dont l’article 411-4 serait fort à propos face à des groupes comme le Tabligh, le Ditib, le Milli Gorüs, etc.

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Chems-eddine Hafiz dit ensuite que la laïcité aurait permis aux musulmans de prier conformément à leur foi « sans que cela (les) oblige de faire une certain nombre de choses qui pourraient remettre en cause cette croyance. » Non : ça, ce n’est pas la laïcité, mais une complaisance faussement naïve, parfaitement incarnée ces dernières années par feu l’Observatoire de la Laïcité. La laïcité, la vraie, impose au contraire à toutes les religions de remettre en cause ce qui dans leurs croyances est contraire aux règles fondamentales de la France et de notre civilisation. Pour certaines religions, il s’agit d’ajustements mineurs. Pour d’autres, de réformes radicales.

L’islam et nos principes

Or, jamais les associations cultuelles se revendiquant de l’un ou l’autre des quatre madhhabs reconnus du sunnisme n’ont remis en cause les fondations théologiques et scripturaires de la condamnation à mort des apostats, par exemple, alors que celle-ci bafoue la liberté de conscience garantie par notre Constitution. Et le Recteur affirme, une fois de plus, la « compatibilité des valeurs de l’islam avec les principes de la République », alors que le vrai sujet est la soumission de l’islam aux principes de la République. Il se garde bien, d’ailleurs, de se demander s’il est « compatible » avec les « principes de la République » d’enseigner à des enfants que la parole divine « dictée, éternelle et incréée », source normative suprême, est un livre légitimant l’esclavage sexuel des captives de guerre (sourate 4 versets 3 et 24, sourate 23 verset 6, sourate 33 versets 50 et 52, sourate 70 verset 30) et appelant avec insistance à la lutte armée contre les « mécréants » (sourate 2 versets 191 et 193, sourate 4 versets 71 à 77, 84, 89, 95, sourate 5 verset 33, sourate 8 verset 39, sourate 9 versets 5, 29, 38, 39, 73). Questions d’autant plus importantes que, selon l’IFOP, 65 % des lycéens musulmans déclarent partager l’affirmation selon laquelle « les normes et règles édictées par votre religion sont plus importantes que les lois de la République ».

On se demande donc s’il s’agit de convaincre les musulmans de se rallier à la laïcité, en leur cachant les efforts de réforme qu’elle exige d’eux, ou de convaincre les non-musulmans de baisser la garde et de ne surtout pas imposer à l’islam ce qui a jadis été imposé avec fermeté voire brutalité au judaïsme et au christianisme, et à quoi le bouddhisme (par exemple) se plie sans rechigner.

Étrange campagne du SG-CIPDR, étrange trahison de l’esprit de la laïcité par le gouvernement, bien plus révélatrice que toutes les rodomontades des lois affirmant vouloir « lutter contre le séparatisme », étrange mais parfaitement en phase avec la propagande diffusée très officiellement dans les écoles. Étrange… ou pas si étrange, au fond, après des années de « en même temps » et des décennies d’aveuglement volontaire et de lâchetés accumulées.

La laïcité est une chance pour les religions. Non parce qu’elle garantirait leurs « droits », mais parce qu’elle les subordonne au respect des droits des personnes. La laïcité force les religions à entendre les critiques, même les blasphèmes, et à accepter la liberté de conscience, même l’apostasie. Elle leur évite de se transformer en idolâtries d’elles-mêmes. Elle les empêche d’étouffer l’élan vers la foi sous le poids de dogmes autoritaires, elle leur interdit d’agir comme si les Dieux étaient des tyrans. Protégeant les citoyens des abus des religions, elle protège les religions d’elles-mêmes.

Oui, la laïcité est une chance – œuvrons à ce que l’année prochaine, à cette même date, nous ayons enfin un gouvernement qui la fasse respecter par tous.



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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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