C’est bien simple : ce Boche-là parle un meilleur français que la plupart de nos compatriotes, fussent-ils académiciens.
Ne se proclame-t-il pas lui-même « amoureux du Grand Siècle » ? Et ledit siècle ne fut-il pas le sommet de la civilisation française (je n’ai pas dit européenne, ni occidentale) ?
Mais puisque vous me posez la question, je vois bien aussi Karl Graf von Lagerfeld parachuté dans notre XVIIIe siècle ; non pas celui des Lumières certes, mais plutôt celui de Louis XV (et le Louis XV de Maupeou s’il vous plaît, pas celui de Choiseul !)
Le mec raconte sa vie avec une simplicité telle qu’elle remplit les blancs de la pudeur. Sa mère a beau être « fantasque » (comme disent tous les journaux, et donc sans doute le dossier de presse), n’empêche ! C’est elle qui l’a sorti de sa « suffisance enfantine » (dixit) en lui enseignant l’autodérision. C’est pas de l‘éducation, ça ? J’en connais qui, sur le sujet, plafonnent encore à nos âges.
Anecdote : le jeune Karl, qui se sent une âme d’artiste, décide d’apprendre le piano. Sa mère : « Tu n’as aucun talent. Dessine, ça fera moins de bruit ! » Karl l’écoute, trouve sa voie et devient ce qu’il est.
Il faut dire aussi qu’il n’a jamais basculé dans la drogue, l’alcool ni même le tabac. Mais ça, de son propre aveu, ce n’est pas, une affaire de morale ou d’éducation : rien que de l’ »égoïsme », qu’il assume même volontiers en tant que « narcissisme » : « Une bonne chose ; ça vous empêche de vous laisser aller ! »
L’ultime question qui s’impose, c’est : comment se fait-il que la tête de « ce petit marquis d’un autre âge », comme on devrait dire dans Libé, ne soit toujours pas au bout d’une pique ? M’est avis qu’il bénéficie, de la part de l’époque, d’une triple indulgence plénière en tant qu’artiste, étranger et décadent (dans l’ordre que vous voudrez). Si c’est ça, désormais, les conditions pour faire un réac acceptable, eh bien, j’ai du boulot…
Une : Karl Lagerfeld x Steiff Teddy Bear, Ken’s flickr.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !