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Lagarde, prends garde !


photo : FMI

Voici une nouvelle grande cause pour notre glorieuse nation : placer Christine Lagarde, notre actuelle ministre des Finances, à la tête du FMI. A lire les commentaires depuis quelques jours, il semblerait qu’hormis quelques grincheux, personne n’y trouve à redire. Pourtant, quelques indices devraient mettre la puce à l’oreille des laudateurs et leur faire se poser des questions sur l’opportunité d’une telle candidature.

Christine Lagarde serait une bonne candidate parce qu’elle est européenne. Sous-entendu, vu que la crise n’est pas terminée sur notre vieux continent, autant éviter de filer les clés du FMI à un candidat chinois, brésilien ou indien, qui risquerait de traiter sans pitié les économies de nos pauvres vieilles nations maltraités par l’euro et les problèmes structurels. On entend certains députés de droite expliquer que Christine Lagarde, même libérale est, de toute façon, moins libérale qu’un social-démocrate allemand et qu’une fois au poste occupé jusqu’ici par DSK, elle prendra soin de ne pas trop nous tyranniser.

C’est tout de même étrange l’amnésie journalistico-politique. Il faut ainsi revenir aux débuts politiques de la ministre à la tribune de l’Assemblée, à l’été 2007, vendant avec une fougue libérale extrême, le texte TEPA (travail, emploi, pouvoir d’achat) censé mettre en musique le « travailler plus, pour gagner plus » du candidat Sarkozy. Il faut aussi se souvenir de Christine Lagarde, au moment où la crise de Lehman Brothers touche nos banques, acceptant de leur prêter de l’argent, mais refusant que l’Etat monte au capital des établissements financiers. Or c’était le seul moyen d’éviter que la fameuse « régulation », que tout le monde a à la bouche -surtout dans les salles de marché, mais pour rire- ne reste qu’un mot.

Et puis il y a Tapie. La presse anglo-saxonne, qui n’a pas nos pudeurs, commence déjà à grincer sur les candidats français qui ne sauraient exister sans casserole, petite ou grosse.
On félicitera donc pour une fois les députés socialistes, qui tiennent une ligne assez ferme pour combattre cette nomination: primo, elle est libérale pur jus et secundo, l’affaire Tapie. Rappelons que la cour de discipline budgétaire est saisie ainsi que la Cour de justice de la République par ces mêmes députés socialistes, pour abus d’autorité de la ministre. Rappelons aussi qu’auparavant, Bernard Tapie, par la grâce d’une décision d’arbitrage, avait empoché la modique somme de 45 millions d’euros au titre du préjudice moral dans l’affaire qui l’opposait au Crédit Lyonnais, et au total plus de 210 millions d’euros. Ces «nuages judiciaires», peuvent bien être balayés d’un revers de main, ils existent. Et le risque n’est pas nul que la justice regarde de plus près comment l’affaire Tapie s’est dénouée.

Au-delà de ces arguments politiques, quelque chose m’étonne, me sidère, même, dans la fascination qu’exerce Christine Lagarde dans notre pays. Depuis une semaine, on entend partout la même rengaine: «C’est une femme, elle parle anglais, c’est donc une bonne candidate. » Au point, que dans un premier élan, Martine Aubry, avait annoncé sur France 2 soutenir la ministre de l’Economie pour le FMI, alors même que ses ennuis judiciaires viennent de ses propres députés. Depuis, Aubry, a modéré ses ardeurs. Mais cet engouement spontané reflète une névrose française assez classique : sommes-nous un peuple si tarte, qui dès qu’il se trouve un ministre parlant « parfaitement » anglais, considère que c’est une preuve de génie politique ? Ça me remémore quelque chose. Alors à peine nommé à Bagdad, le jeune Boris Boillon qui arrivait de l’Elysée, éblouissait les journalistes qui le trouvaient « super ». Au motif notamment « qu’il parlait parfaitement arabe ». L’arrogance extrème du même Boillon, ne posait alors de problème à personne. Patatras, nommé à Tunis, il se met à dos la toute nouvelle presse libre tunisienne et devient la risée des mêmes journalistes qui le trouvaient si génial aux bords du Tigre. Pourtant, il parlait toujours aussi bien arabe, la preuve, c’est dans cette langue qu’il avait agressé des consœurs journalistes qui l’interrogeaient. Aussi, j’aimerais dire à Madame Lagarde que le soutien unanime dont elle jouit aujourd’hui, parce qu’elle parle anglais ne durera que tant qu’elle ne commettra pas de bourde. Et si ça se trouve, elle en commettra…

Enfin, on nous explique que c’est une femme. Sous-entendu, c’est tout à l’honneur de la France (et de l’Europe, hein) de proposer une femme comme candidate. Là aussi, mon vieux réflexe universaliste me fait dire qu’on s’en fout. Comme on se fout qu’elle ait pratiqué la natation synchronisée, ou qu’elle aime le Nutella. La France a donc un tel problème d’égalité, qu’on trouve qu’une Française au FMI, ça serait indispensable? J’imagine qu’un vague fond de culpabilité post-DSK provoque aussi cet enthousiasme pour « la grande dame », le surnom que certains collaborateurs zélés et fanatiques ont donné à Lagarde à Bercy. Mais je me permets de ne pas le partager. Et j’entends des voix, plus spécialisées que la mienne, dire que le candidat turc est un homme sérieux, plus régulateur et moins libéral que Lagarde. Mais je m’égare. Il faut soutenir Christine Lagarde au FMI. Puisqu’on vous dit que c’est une femme et qu’elle parle anglais.



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est journaliste

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