Dans son nouvel essai De la France (Perrin/Presses de la cité, 2022), Laëtitia Strauch-Bonart renvoie dos à dos progressistes et réactionnaires…
« L’État prend davantage au citoyen qu’il ne lui donne, mais ce qu’il lui octroie en échange est plus éphémère encore car il n’offre qu’une illusion de protection et de maîtrise. » L’accusation est lourde, le regard sans concession.
Dans un essai dense et savant, émaillé de références aux penseurs libéraux, de Tocqueville à Bastiat en passant par le philosophe britannique conservateur Roger Scruton, Laëtitia Strauch-Bonart instruit le procès de cet étatisme centralisateur pléthorique, dispendieux et inefficace qui ne fait qu’asphyxier la France. Le programme de chèques électoralistes distribués à quelques semaines de l’élection présidentielle pour répondre à l’inflation des prix du gaz et des matières premières en sont les preuves flagrantes.
Wokisme et crise identitaire, des épiphénomènes
Crise des gilets jaunes, crise sanitaire, effondrement des partis traditionnels, abstention record, déficit des corps intermédiaires… Au fil des pages, cette ex-plume de François Baroin, viscéralement libérale, devenue essayiste et éditorialiste au Point, analyse la succession de ces maux mais en se gardant bien de verser dans le déclinisme. Reconnaître que la France est en crise est une chose, poser le bon diagnostic en est une autre.
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Car pour Laëtitia Strauch-Bonart, les racines de la crise sont moins identitaires que politiques. Si elle évoque les attaques du wokisme et de l’identitarisme en France, c’est pour mieux les minimiser en les renvoyant à des épiphénomènes comparés à ce qui se passe aux Etats-Unis où une tyrannie identitaire s’exerce à tous les niveaux de la société sans qu’une résistance conséquente s’y oppose. « Plus la politique identitaire, dans un pays, est installée, moins la réaction y est vive, et vice versa. » La France, elle, a suffisamment de ressources culturelles pour pouvoir s’opposer à l’invasion de ce progressisme éradicateur de l’identité d’une nation, pense-t-elle. Son optimisme l’honore mais son relativisme l’égare. Pas un mot sur les réunions non mixtes du syndicat étudiant de l’Unef, et encore moins du séparatisme islamiste et des charia suspendues au-dessus de la tête de Mila ou de celle de Didier Lemaire.
Pas une séparatologue
Le propos de Laëtitia Strauch-Bonart se situe ailleurs. Trop libérale pour céder aux sirènes du « c’était mieux avant », trop conservatrice pour fantasmer sur le monde d’après, Laëtitia Strauch-Bonart renvoie dos à dos les progressistes et les réactionnaires, tous deux idéalisant l’avenir ou le passé d’une France qu’ils ne voient pas réellement. Contre « cette alternative stérile entre progrès et réaction », elle propose une voie intermédiaire, celle du libéralisme anti-étatique à l’aune duquel elle analyse les dernières crises qui ont secoué le pays.
Ainsi, ce n’est pas à cause du retrait de l’Etat mais de son omniprésence que la France périphérique des gilets jaunes s’est embrasée, explique l’essayiste, en rappelant qu’à l’origine de la vague jaune il y avait une révolte fiscale et pas du tout une demande de plus d’aides de la part de l’État. Si Laëtitia Strauch-Bonart rejoint le constat de Christophe Guilly sur la fracture entre la France des métropoles mondialisées et la France périphérique des ronds points et des hypermarchés, c’est pour mieux s’en séparer ensuite et pointer la faille du raisonnement du géographe préféré d’Éric Zemmour ou de Jérôme Fourquet. Ceux qu’elle qualifie de « séparatologues » ne feraient qu’exagérer la fragmentation sociale en plaquant une vision moralisatrice sur une élite méprisante par nature et un peuple intrinsèquement victime. « On ne peut pas à la fois estimer qu’une catégorie entière de la population est néfaste et regretter qu’elle prenne ses distances » se moque-t-elle.
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De la fermeture des urgences à la disparition des bureaux de poste, le démantèlement des services publics – notamment dans les zones rurales – ne résulte pas selon l’essayiste du retrait de l’État. C’est « la centralisation politique (qui) a contribué à la dévitalisation du tissu local » explique-t-elle.
Résistance!
Le centralisme, voilà le véritable mal français qui subsiste, quoi qu’il en coûte, en dépit de la politique de décentralisation mise en place avec les lois Defferre en 1982 dont on fête d’ailleurs les 40 ans. « La décentralisation à la française fut un blanc-seing donné à la folie des grandeurs administrative ». Au lieu de dégrossir le mammouth, il a été engraissé avec son lot d’échelons supplémentaires. Laëtitia Strauch-Bonart en profite également pour dézinguer le parti de la droite classique, incapable de défendre un libéralisme débarrassé de la mainmise de l’État. Si la gauche a trahi sa mission historique en se détournant de l’amélioration des conditions matérielles de vie pour adopter le logiciel du gauchisme culturel et de la défense des minorités, la droite, elle, n’a jamais été un parti de « résistance à l’étatisme » et de promotion du localisme démocratique. Laëtitia Strauch-Bonart explique ce refus d’endosser ce combat par la crainte d’être associé à l’extrême droite historique, maurassienne, qui défendait également l’alliance entre le nationalisme et le localisme.
L’ouvrage se clôt sur une projection dans une France de 2060 qui serait débarrassée de ses pesanteurs administratives et de ses politiques irresponsables. La France rêvée de Laëtitia Strauch-Bonart, c’est une France qui reprend en main son destin, une France où la démocratie fonctionne mieux, de manière plus locale et directe, avec l’organisation de rééférendums d’initiative citoyenne réguliers.
« L’État a fait la France, mais rien n’empêche aujourd’hui la France de pouvoir refaire l’État. » Tout un programme, comme dirait l’autre.
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