Un tel terrorisme fumophobe, en extension alarmante, doit être combattu par tous les moyens. Ne devrait-on pas aller jusqu’à publier dans la presse les noms de ceux qui ont frappé une personne fumante afin qu’ils éprouvent l’opprobre sociale et la honte d’une misère qu’ils cachent en général sous une apparence honorable ? Certains parmi nous le pensent, estimant qu’il s’agit de créer autour des auteurs de violences fumophobes un climat social dissuasif. D’autres, en moins grand nombre, craignent qu’une telle mesure soit assimilée à un appel au lynchage ou à une version moderne du supplice du pilori.
Quoi qu’il advienne de ce débat en cours, interne à notre mouvement, et même si l’on fait abstraction des phénomènes de fumophobie extrême, il existe une fumophobie ordinaire qui n’est pas moins odieuse que l’autre, avec son cortège de rumeurs, moqueries, brimades, chantages, menaces, caricatures, insultes dans la rue, gros mots sur le lieu de travail, impolitesses en famille et complots dans l’entrée de l’immeuble. Les témoignages que nous avons recueillis à ce sujet ne se comptent plus. C’est Brigitte M., de Breuil-le-Vert, près de Clermont, dans l’Oise, dont le chef de service fumophobe prend un malin plaisir tous les matins à décrocher le poster qu’elle a fixé en face d’elle dans son bureau et qui est sa seule joie. C’est Marc B., qui vivait avec Sophie C. bien tranquillement en Picardie et dont le cadre de vie se dégrade à toute allure depuis six mois parce que de nouveaux voisins, dans l’immeuble d’en face, s’ »amusent » à les harceler en déclenchant intempestivement l’alarme de leur voiture. C’est Nadège N., stagiaire informaticienne dans un organisme de formation professionnelle, à qui sa supérieure hiérarchique impose comme fond d’écran la photo d’une femme qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau en train de se faire sodomiser par Harry Potter sous l’œil intéressé de Dark Vador. C’est enfin Martin R. et Martine F. qui, à Carcassonne, découvrent chaque jour des graffitis outrageants sur la porte de leur appartement et songent aujourd’hui à déménager. D’autant que, dans leur cas comme dans bien d’autres, la cabale est générale : de la concierge au syndic, une véritable conspiration est organisée, avec pétition à la clé, pour les pousser à déguerpir. La vindicte collective ne se connaît pas de limites. Et si les victimes, la plupart du temps, renoncent à déposer une main courante au commissariat, c’est qu’elles savent que leur démarche ne sera suivie d’aucun effet, que leur plainte sera aussitôt classée, ou encore que le parquet, vu l’absence de cadre juridique, ne retiendra pas le caractère fumophobe de l’agression, et qu’on les laissera même repartir sans support psychologique ni rien du tout.
La triste banalité de tels incidents ne doit pas masquer leur gravité ; ni qu’ils constituent autant d’épisodes intolérables d’une guerre acharnée auprès de laquelle le harcèlement moral proprement dit n’est que plaisanterie. Encore ne s’agit-il là que de scandales relativement isolés. Il y a plus grave. Sait-on par exemple que des établissements touristiques en nombre toujours croissant se vantent d’accueillir une clientèle cent pour cent non fumante et font leur promotion sur cette pratique commerciale spécifiquement discriminatiste ? C’est le cas, parmi bien d’autres, du Domaine de la Briqueterie, près de Sancerre, dans le Sancerrois, ou encore du Manoir des Baronnies de Crillon-le-Brave, au pied du Ventoux (mais on pourrait encore citer La Gentilhommière des Vieux Créneaux, dans le Loir-et-Cher, ou L’Auberge Ouest-West, à deux pas du Mont Saint-Michel). Véritables ghettos non fumants, authentiques no smoking resorts, ces hostelleries de grand standing, en général implantées dans un cadre prestigieux, à proximité de sites architecturaux et touristiques réputés, pratiquent au vu et au su de tous la discriminance la plus éhontée. N’est-il pas urgent de disposer d’un arsenal législatif permettant de réprimer avec la plus grande vigueur de tels abus, et de poursuivre non seulement ces hostelleries, mais aussi les organes de presse et guides touristiques spécialisés qui vantent impunément les mérites d’établissements dont les pratiques discriminatiques à l’égard des personnes fumantes constituent le principal argument promotionnel ? Que n’entendrait-on si des hôtels s’affichaient comme exclusivement destinés à la clientèle fumante et refusaient tout autre choix de vie ? Ne réclamerait-on pas, et à juste titre, une punition exemplaire contre de telles pratiques ?
Et que dire de cette élimination obstinée des personnes fumantes que l’on refoule presque systématiquement lorsqu’elles souhaitent apparaître en tant que telles dans le public des émissions télévisées qui accueillent du public ? Ce refus flagrant de reconnaissance, de la part de la télévision, pourtant le grand, l’unique miroir de notre société, est bien entendu un clair déni d’existence. Certes, dans quelques cas rarissimes, l’apartheid cathodique, on ne sait trop pourquoi, est levé, et l’on daigne laisser quelques personnes fumantes figurer dans le public. Mais alors ce sont les cadreurs qui ont consigne d’éviter de les filmer ; et, de toute façon, pour plus de sûreté, elles se retrouvent placées dans des coins où les caméras ne vont jamais fouiller. Un tel état de chose relève lui aussi de la discrimination la plus flagrante, mais les pouvoirs publics ne semblent pas s’en émouvoir. Une lettre ouverte signée par le collectif de La Volute finale, exigeant la création d’une commission de réflexion à ce sujet, et adressée aux patrons des chaînes de télévision, aux ministres compétents et au président du CSA, est restée jusqu’à présent sans réponse.
A l’instar d’autres fléaux, il faudra certes du temps pour effacer la fumophobie des mentalités. Les pouvoirs publics ont toutefois les moyens d’accélérer la mise en œuvre de ce processus à condition qu’ils se décident enfin à ériger la tabacomanie en liberté fondamentale et, simultanément, à pénaliser les conduites fumophobes. Nous ne le répéterons jamais assez : la loi possède une vertu pédagogique certaine. Il est donc essentiel, une fois encore, d’officialiser le caractère inacceptable de la fumophobie et de donner la faculté aux associations telles que la nôtre de se constituer partie civile dans les affaires de discrimination fumophobe. Ce que nous ferons bien entendu avec le discernement qu’on nous connaît, le sens de la mesure qui nous est propre, et sans jamais abuser de notre position ; mais également avec fermeté, et, s’il le faut, en commençant par demander la condamnation de l’Etat lui-même s’il persiste dans sa politique fumophobe provocatrice qui pousse à la discrimination des personnes fumantes.
De manière plus ample, l’Europe s’honorerait de prendre, en faveur de la minorité fumante, des mesures claires, volontaristes et allant dans le bon sens, ne serait-ce que par la mise en place de quotas juridiquement contraignants sur certains points décisifs (meilleure représentation des personnes fumantes dans la vie sexuelle et politique, réduction des écarts de rémunération entre fumants et non-fumants, élimination des stéréotypes fumophobes notamment dans la culture et les médias, adoption du fameux programme Galatée II destiné à empêcher les violences contre les personnes fumantes). A se pencher sur ces problèmes, l’Union européenne gagnerait encore en respect et démontrerait, si cela était nécessaire, qu’elle ne sert pas du tout à rien. C’est d’ailleurs dans ce sens que certains d’entre nous, depuis déjà quelques années, ont commencé à œuvrer à Strasbourg et à Bruxelles auprès des responsables et responsables de toutes tendances politiques (voir notre brochure L’Europe, une chance pour le fumage, aux Éditions C’est du Belge).
On le voit, à La Volute finale nous sommes décidés à riposter chaque fois qu’il le faudra, à réagir haut et fort, à parler clair et net, à récriminer sans mollir, à traquer le sous-entendu fumophobe, à ne rien laisser passer qui humilie publiquement un individu en raison de son orientation fumante. La honte et la peur doivent enfin changer de camp.
Cette bataille sera longue. Les barrières seront nombreuses, les résistances féroces, les préjugés persistants et les tabous tenaces. Mais les totems tomberont. La route se dégagera. Nos énergies seront farouches, notre courage sans faille et la victoire inexorible.
Pour finir, nous nous permettrons d’emprunter au chef-d’œuvre de Josyane Merdurin, Écrasons l’Infime !, l’un de ses plus remarquables aphorismes, et de le faire nôtre : « Les mots blessent. Les mots tuent. Il faut en finir avec les mots. »
Pour que la volute finale ne soit pas la dernière.
Texte extrait de Je fume, pourquoi pas vous ? Contre la tabacophobie, sous la direction de Marc Cohen, Pauvert/Fondation du 2 mars, mai 2005.
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