Pour les spectateurs que nous sommes, la réussite des plus grands sportifs nous impose une modestie qui nous rappelle nos propres limites, mais nous invite à les dépasser, du moins dans notre esprit. Le regard de Philippe Bilger.
Les Jeux olympiques sont une formidable école de modestie.
Pas seulement pour les vaincus et il faut admirer la classe de ceux qui manquent la médaille d’or pour infiniment peu. Quatre années d’efforts et de sacrifices, et c’est un autre qui en récolte les fruits ! Avec quelle élégance les médaillés d’argent et de bronze prennent acte de leur défaite, avec quelle tenue les autres participants à la finale admettent leur infériorité et viennent saluer celui ou celle qui montera sur la plus haute marche du podium ! Pas la moindre aigreur, l’esprit sportif dans ce qu’il a de meilleur, à son comble…
Mais aussi, mais surtout, pour tous les amateurs, les passionnés de sport, les pratiquants comme les sportifs en chambre, pour tous ceux qui à un moment de leur vie ou tout au long de l’existence se sont adonnés à ces divertissements du quotidien, à ces activités que sont par exemple la natation, le tennis, le tennis de table, la course à pied…
Loin que la différence colossale avec les champions de ces disciplines nous altère le moral et nous fasse perdre la plupart de nos illusions, c’est l’inverse qui se produit.
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Moi qui ai un peu joué au tennis à partir de 18 ans, pouvoir admirer Novak Djokovic ou Carlos Alcaraz et prendre la mesure de l’immense écart entre eux et moi, entre eux et ceux qui sont mus par le désir tout simple de progresser dans le classement, engendre une délicieuse volupté, celle de l’humilité. Non pas une humilité qui serait imposée et subie mais une humilité qui paradoxalement vous rehausse. On sait qu’on pratique ce sport mais que des géants vous dominent et c’est doux, et c’est bien.
Que dire face aux incroyables exploits de Léon Marchand, comme un poisson dans l’eau, alors que même dans nos meilleurs moments, nous ne pesons rien, comparés à ce génie si familier avec l’élément liquide qu’il semble créer avec lui un duo quasiment surnaturel ?
J’ai éprouvé, me rappelant mes jeunes années au collège ou ailleurs quand pour passer le temps je jouais beaucoup au ping-pong, une sensation magique en voyant Félix Lebrun, âgé de 17 ans, mener des échanges à un train d’enfer, avec une sûreté, une précision et un talent hors norme. Nous avons en commun le tennis de table mais lui a en propre cette irréductible singularité qui me fait glisser avec bonheur dans la conscience de mon infirmité…
Ce n’est pas seulement cette idée banale qu’il y a, en sport comme ailleurs, le profane et les professionnels, les besogneux et les cracks mais bien davantage : la certitude que nous sommes fiers d’être ainsi dépassés, relégués par la jeunesse, par le miracle de dons nous laissant à des années-lumière, parce qu’ils sont eux et que nous ne sommes que nous !
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Je raffole de cette modestie qui survient comme une grâce. Celle par exemple qui me laisse ébahi, stupéfié par Félix Lebrun quand il permet à la France d’obtenir une médaille de bronze par équipe.
C’est à cause de cet enthousiasme que nous inspirent leurs exploits que nous sommes sans doute trop sévères avec eux quand ils nous déçoivent. La jouissance de pouvoir les porter aux nues, en nous réduisant, implique le sadisme de les rejeter, en les jugeant.
Même si peu que ce soit, on ne souhaite pas qu’ils se rapprochent de nous. Nous tenons à la volupté de l’humilité.
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