Accueil Culture La Voie royale : l’enfer des prépas, vraiment ?

La Voie royale : l’enfer des prépas, vraiment ?

Un film sur l'école éclairant, fait avec des moyens limités, et d’une finesse rare


La Voie royale : l’enfer des prépas, vraiment ?
LA VOIE ROYALE Bande Annonce (2023) YouTube capture d'écran https://www.youtube.com/watch?v=3AAaLmBx_1c

Nous n’avions pas pensé aller voir La Voie royale, le film de Frédéric Mermoud sur une classe prépa lyonnaise : les films sur l’école sont rarement réussis. Notre collaborateur s’y est risqué, en spécialiste de la chose éducative — et apparemment il en est revenu enchanté.


Sophie vient de passer le Bac, option Sciences, sans doute dans un lycée de Roanne, la localité la plus proche de Thizy-les-Bourgs où elle aide ses parents à la ferme. Autant dire Trifouillis-les-Oies. Son prof de maths de Terminale, qui a décelé chez elle un petit talent, se donne la peine d’aller convaincre ses parents de pousser leur fille, qui voulait faire un BTS d’agronomie, à poser sa candidature en classe prépa au prestigieux et imaginaire lycée Descartes, à Lyon (dans la réalité, le lycée de Saint-Just, sur la colline de Fourvière). C’est ce que devraient faire tous les enseignants qui ont à cœur de pousser leurs élèves au plus loin de leurs capacités.

Voilà donc notre bonne élève entre les murs imposants de l’ancien séminaire de sainte Irénée. Et il est vrai qu’après les architectures Pailleron auxquelles sont confrontés le plus souvent collégiens et lycéens, les établissements bourgeois du XIXe en imposent. Comme en imposent les condisciples, pour la plupart issus des beaux quartiers de la ville. « Je viens de Belcourt », lance Diane, la jolie bourgeoise surdouée à la petite campagnarde mal dégrossie. Belcourt, c’est le Lyon des notables — ceux qui justement sont promis aux classes prépas et aux grandes écoles. « Vous êtes là pour vous faire du réseau », explique le proviseur à la nouvelle promo. Ce n’est pas faux.

A lire aussi: L’indemnisation de l’échec, une idée 100% woke

Les déboires ne s’arrêtent pas aux rivalités de classe (sociale), sensibles sur la façon de porter un jean comme à l’art de laisser flotter ses cheveux. La bonne élève de Ploucville s’aperçoit dès la première kholle (ces interrogations orales qui font presque toute la différence avec l’enseignement de masse des facs) qu’elle ne vaut pas grand-chose. 3, et c’est bien payé. C’est que les prépas disent la vérité des prix. Mes hypokhâgnes de 45 élèves qui avaient tous eu entre 18 et 20 au Bac de Français se retrouvaient à 6 de moyenne à la première dissertation correctement notée. La différence, c’est la démagogie de mes collègues du Secondaire et de l’Inspection réunis.

Contrairement à ce que prétendent les belles âmes, les enseignants de prépas ne cherchent pas à humilier leurs élèves. L’humiliation, elle est dans la tête de ces gosses déclassés, hantés par le sentiment d’imposture, qui affleure sans cesse, et très intelligemment, dans le film. La prof de physique (jouée avec une maestria rare par Maud Wyler) ne donne pas des exos compliqués pour que ses loupiots s’étalent, mais pour que les meilleurs sortent de leur gangue de bons élèves et fassent preuve d’intuition, d’élégance, de génie parfois.

Au cœur du film est posée la question de la mixité scolaire. Comme je l’explique dans L’École à deux vitesses, qui sort la semaine prochaine (pub !), il ne s’agit pas de brasser indifféremment des gosses issus de milieux différents, mais de coupler la différence de classe avec la contiguïté de niveau : il faut en finir au plus vite avec le collège unique, ce splendide instrument de ségrégation sociale inventé par deux gauchistes, Giscard et Haby, en 1976. En finir avec l’interdiction de groupes de niveau, mettre les élèves en concurrence, créer une émulation, en revenir enfin à l’élitisme républicain. Sinon, nous sommes condamnés à n’envoyer à Polytechnique, comme dit très bien Sophie vers la fin, que des clones de Patrick Drahi, Bernard Arnault et Elisabeth Borne. Avec les résultats mirifiques que l’on sait — et une insurrection de temps à autres, celle des Gilets Jaunes est en filigrane dans le film.

Seul regret, la sortie furtive, au cœur de l’été, et dans très peu de salles, d’un film de salubrité publique. Nous étions une trentaine dans ce cinéma de Montpellier, et nous avions tous dépassé le demi-siècle. Le film doit être vu, et urgemment, par ceux qui vont entrer en prépas, ou qui ambitionnent un jour d’y entrer, et par leurs parents. Qu’ils sachent quelle atmosphère de serre chaude est celle de ces classes où l’on bosse en moyenne 70 heures par semaine. Quelle solidarité aussi — malgré les différences de niveau social. C’est un film éclairant, fait avec des moyens limités, et d’une finesse rare. Mais si vous n’aimez pas ça, bien sûr, il vous reste Barbie.

A paraître le 24 août

La fabrique du crétin: Vers l'apocalypse scolaire (02)

Price: 18,00 €

26 used & new available from 8,92 €



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent A la recherche du temps de la gastronomie
Article suivant La police n’est pas à plaindre
Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération