Étienne Kern ressuscite un certain Émile Coué, un obscur pharmacien de Nancy devenu une star mondiale avant de retomber dans l’oubli, et dont la « méthode » est aujourd’hui moquée.
Qui dirait avoir recours à la méthode Coué serait aujourd’hui moqué. Quant à son inventeur, Émile Coué (1857-1926), personne ou presque ne le connaît. Il n’en fut pas toujours ainsi. Ce pharmacien fut en son temps une sommité. Une star même, adulée dans le monde entier. Étienne Kern brosse son portrait avec humilité et empathie dans La Vie meilleure. De ses débuts à Nancy, où il découvre l’hypnose, alors en vogue, à sa première patiente : une femme venue dans sa pharmacie pour du laudanum. Elle n’a pas d’ordonnance. Émile ne peut donc lui en procurer. Il a alors une idée : fabriquer une potion de son cru avec de l’eau, du sucre puis écrire un nom savant sur l’étiquette. La cliente n’y voit que du feu. Mieux, elle revient le lendemain remercier le pharmacien pour l’excellence de sa potion. Il vient de découvrir l’effet placebo et les pouvoirs sans fin de l’imagination. Il s’intéresse à l’esprit humain. Ses maîtres : Bernheim et Liébeault, qui furent les premiers à théoriser les bienfaits de l’hypnose et le pouvoir de la suggestion. Il commence à recevoir des patients dans un petit hangar au fond de son jardin. Tous n’ont qu’un souhait : aller mieux. La prescription d’Émile est des plus simples : répéter, matin et soir, « tous les jours, à tous point de vue, je vais de mieux en mieux ». La méthode peut prêter à sourire, mais force est de constater que les résultats sont là. Seule ombre au tableau : le père du pharmacien voit d’un mauvais œil les expériences de son fils et l’accuse même de charlatanisme. Meurtri, Émile poursuit néanmoins ses recherches. En 1920 il publie La Maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente. Le livre connaît un succès retentissant. Les journalistes viennent l’interviewer. Les patients se pressent chez lui. « Partout d’un continent à l’autre, des disciples se réclament de lui et des malades murmurent son nom dans leurs prières. » À 64 ans, Coué découvre la gloire. Il va partout, de la Grande-Bretagne aux États-Unis. En 1980, John Lennon reprend ses mots dans une chanson, Beautiful Boy : « Every day, in every way, it is getting better and better. » Une ascension vertigineuse qu’Étienne Kern retrace pas à pas, mettant en avant la ténacité, l’intuition, parfois aussi la roublardise de ce professeur d’optimisme. Une vie romanesque qu’il nous conte avec une tendresse manifeste pour ce précurseur de la pensée positive. À travers Émile Coué, Étienne Kern parle de lui mais aussi de nous-mêmes. « Sa vie est comme la nôtre, avec ses jours banals, et ses jours qu’on n’oublie pas. Il a été enfant. Il s’est marié. Il a perdu son père et sa mère. Il a vu certains rêves s’étioler et d’autres prendre forme. Il a vu son corps vieillir. C’est un homme avec ses désirs, ses angoisses. » Son goût pour les mots qui guérissent est aussi celui de l’auteur qui évoque, en creux, un drame personnel. Celui d’Irène et André, dédicataires de ce livre aussi lumineux que mélancolique.
La Vie meilleure, d’Étienne Kern, Gallimard, 2024. 192 pages