On aura beau manifester. On aura beau protester. On aura beau chantonner, sur tous les tons, les plus beaux slogans du monde, les reprendre en leitmotiv, défendre la veuve de 120 berges et l’orphelin de 60 ans. On aura beau être beau, c’est-à-dire être vain, précaire et inutile : rien ne changera tant que s’imposera à nous l’implacable réalité. L’impératif marxiste, fixé très tôt dans les Thèses sur Feuerbach, n’y peut rien : transformer le monde n’inclut pas de faire passer ses rêves pour la réalité ni de prendre des vessies pour des lanternes.
Autant le dire d’emblée, comme l’a avoué récemment un improbable arc rocardo-sarkozyste : le problème des retraites n’est pas un problème financier. 35 milliards de déficits annuels, ça fait tout juste de quoi payer les apéricubes aux banquets du système bancaire international auprès duquel notre système social emprunte. Le problème des retraites n’est pas même un problème social – le propre de la « retraite » étant précisément de s’éloigner, de s’abstenir voire de se retirer de la vie sociale. Le problème des retraites n’est pas le problème du gouvernement actuel, mais de tous les gouvernements qui ont laissé pourrir la situation depuis 1975, suivant précautionneusement la doctrine de Henri Queuille : « Il n’est aucun problème assez urgent en politique qu’une absence de décision ne puisse résoudre. »
Le problème des retraites : un problème de vieux
Le problème des retraites est le problème des vieux. Sont trop nombreux : 1 Français sur 5 a, aujourd’hui, plus de 60 ans. Seront à l’avenir (car l’avenir leur appartient aussi, c’est leur principal fonds de pension) encore plus nombreux. Bonjour l’ambiance ! L’INSEE (qui est à la France ce que Paris-Turf est au tiercé) pronostique qu’en 2050 1 Français sur 3 aura plus de 60 ans.
Epidémie de vieux ? Oui, peut-être. On ne saurait dire. La Faculté ne s’est pas encore prononcé là-dessus. Enfin, elle a essayé. Elle parle depuis 1975, c’est-à-dire depuis la parution de La Vie devant soi, de « vieillissement prévisible de la population », « d’allongement de l’espérance de vie », mais ne tranche jamais dans le vif du sujet : les vieux sont-ils trop nombreux ? Comment s’en séparer ?
Se séparer d’un vieux. C’est assez simple pourtant. La recette est connue. L’arsenic est la méthode la plus lente, mais éprouvée, à Loundun, chez Marie Besnard. Le cyanure est plus rapide mais n’a pas le charme des vieilles dentelles. Le meilleur est encore l’abandon, chez lui, à domicile, du vieillard ou de la vieillarde, assoiffé en temps de canicule. Privé de relations sociales, le vieux crève. Et il le fait plutôt bien. On se presse à manifester, dans la rue, pour le maintien du départ du roulant de la SNCF à 50 ans, mais pour aller, un jour par semaine, aller visiter l’ancêtre qui se fait sous lui au point de puer l’ammoniaque, il n’y a plus personne. Faut pas pousser ! Se faire sur soi n’est pas un avantage acquis.
C’est bien, pourtant, de cela qu’il s’agit. Régis Debray a, sous la forme du pastiche, écrit, il y a quelques années, un beau petit texte à ce sujet : Le Plan vermeil. Mais le pastiche est, parfois, une façon de faire dans des violons qui sonnent faux. La vérité est qu’en 60 ans à peine, nous avons pris 15 ans dans la vue. De 1950 à aujourd’hui, les Français ont gagné 15 années d’espérance de vie supplémentaires. Financer les pensions de gens qui passaient l’arme à gauche sitôt les 70 berges passées ne posaient pas de gros problème. Promettre, en 1983, la retraite à 60 ans à des gens qui avaient cinq ans plus tard rendez-vous chez Borniol n’était pas insurmontable. La difficulté est que nos vieux ont vieilli et que, la médecine aidant, ils ont retardé l’heure où nous allions en chœur tenir les cordons du poêle. Le vieux met un peu de réticence à se laisser vite enterrer : là est le problème.
Dès lors, le système actuel de répartition est intenable, à moins de paupériser les vieillards, de déposséder des fruits de leur labeur les actifs ou de faire reposer sur les générations futures, comme nous le faisons aujourd’hui, notre propre inconséquence. Comme disait le camarade Lénine, que faire ?
Que faire des retraites ? Non, là n’est pas la question. Que faire des vieux et de l’allongement de la vie ? Que faire de la rotation plus lente du parc locatif, des transmissions moins rapides du patrimoine, de l’augmentation des dépenses de santé liées au grand âge ? Que faire de nos politiques publiques qui seront, de plus en plus, hypothéquées sur la vieillesse ? Moins de crèches, plus d’unités Alzheimer ! Car la France y passera dans les prochaines décennies – elle a déjà commencé : elle conduira des politiques de vieux, faites pour les vieux et par les vieux.
Lorsqu’en 2050, 1 Français sur trois aura plus de soixante ans, le système de répartition ne tiendra plus. Préparons-nous y donc, dès à présent. Le péril vieux menace : c’est Al Quaïda dans nos hospices. Ne les poussez pas discrètement sur les rails du métro comme un instinct naturel pourrait vous y forcer. Contentez-vous de leur servir, chaque semaine, le porto du dimanche, le plus malthusien de nos apéritifs. Les triglycérides ne leur pardonneront pas. Mais ils auront vécu. Morts, bourrés et vaincus.
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