Thomas Morales nous présente La véritable histoire des pâtes, racontée par Luca Cesari, spécialiste de la gastronomie italienne.
Dans mon cas, ce n’était pas une grand-mère, mais une tante. Je me souviens, quarante ans plus tard, de ses tonnarelli con cacio e pepe, de ses gnocchi alla romana et comment oublier, le sommet de cette féerie gustative, les bucatini all’amatriciana. Il y a un art culinaire dans la cuisson et l’accompagnement de cet aliment à base de blé dur qui se transmet dans le secret des cuisines.
Influence paysanne et quête aristocratique
Une science dans l’ébouillantement, dans l’utilisation du jus de viande et aussi dans la qualité du pecorino. Une recherche dans l’alchimie des textures, c’est-à-dire, l’équilibre entre suavité et fermeté, entre le gras et le solide, entre le coulissant et la mâche, entre le duvet soyeux de la pasta et son corollaire, la rudesse affirmée d’un fromage fermier. Toute l’expression d’un pays partagé entre ses influences paysannes et sa quête aristocratique du « beau ». Les Français ont d’autres qualités aux fourneaux, ce sont d’inventifs sauciers et de redoutables rôtisseurs. Devant les pâtes, ils perdent souvent leurs moyens. Comme s’ils manquaient d’imagination. La rusticité d’un tel plat demande un savoir-faire qui remonte au Moyen Âge et à la Renaissance.
À la lecture de La véritable histoire des pâtes de Luca Cesari aux éditions Buchet-Chastel, nos certitudes sur le caractère immuable des recettes traditionnelles italiennes sont sérieusement écornées. On nous aurait menti ? L’Histoire se joue de ses mythes fondateurs. « D’où la prolifération de légendes plus ou moins invraisemblables nous racontant comment ont été inventés les plus célèbres plats de pâtes. L’Histoire de l’Italie se peuple ainsi de paysans durs à la tâche mais ingénieux ou de mystérieux cuisiniers de cour capables de créer des recettes inoubliables en mariant les quelques ingrédients qu’ils ont sous la main », prévient l’auteur, dès les premières pages de son essai. En résumé, « ces spécialités sont toujours plus récentes qu’on ne le pense et que leur existence n’a rien d’immuable ».
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Le processus d’invention est une construction permanente, faite d’influences étrangères, la diaspora italo-américaine qui ramène au pays des associations nouvelles ou tout simplement, la diffusion d’ingrédients jusqu’alors inconnus sur le Vieux continent, ne serait-ce que la tomate. Dans cet ouvrage passionnant qui a été traduit avec le soutien du Centre pour le livre et la lecture du ministère de la Culture italien, on se rend compte que la cuisine est une chose sérieuse chez nos cousins transalpins.
La fameuse carbonara d’Ugo Tognazzi
On ne badine pas avec les pâtes. Chez nous, la cuisine est tout au plus un sujet de toqués, cercles d’initiés et inspecteurs revanchards, elle ne déclenche que très rarement des polémiques nationales. Luca Cesari évoque, à l’appui de son argumentation, la polémique née en 2015 qui a enflammé la botte, demandé l’intervention de ténors de la politique locale pour calmer l’ébullition et déclenché la controverse entre éminents spécialistes. De quoi s’agissait-il ? D’un problème migratoire ? D’une fuite des capitaux ? D’un détournement d’argent public ? Non, quelque chose de plus grave : la préparation de l’Amatriciana (sauce originaire de la ville d’Amatrice dans le Latium) qui se compose habituellement de quatre ingrédients (tomate, piment, pecorino à croûte noire et guanciale, viande séchée issue des bajoues du cochon). « Le chef Carlo Cracco (star des brigades aussi célèbre que Ducasse ou Senderens en France) déclare publiquement que l’ail en chemise, c’est-à-dire encore dans sa gousse, figure parmi les ingrédients de l’amatriciana ». Tollé général. Colère des associations de gastronomes. Guerre picrocholine. Épisode tragi-comique d’une scène de la vie conjugale italienne.
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À partir de plats-signatures qui font la fierté des Italiens et ont conquis la planète, Cesari s’amuse à retracer l’origine historique, les variantes, les oscillements d’une tradition plus mouvante qu’on voulait le croire. Il évoque ainsi la destinée des fettuccine Alfredo, des gnocchis, des tortellinis à la bolognaise, du ragù à la napolitaine et à la bolognaise, des lasagnes, du pesto alla genovese ou encore des « toutes bêtes » spaghettis sauce tomate. Jouissive est sa description de la fameuse carbonara. D’où vient-elle ? Que nous dit-elle de la reconstruction italienne ? « Le profil de la carbonara est celui d’un plat explicitement tourné vers l’autre côté de l’Atlantique. Un numéro de séduction payé de retour […] Elle incarne en effet l’un des symboles du renouveau italien de l’après-guerre, qu’on veut justement riche, calorique et anglophone », écrit-il. Sa description de la Dolce Vita et l’anecdote de son « plus illustre ambassadeur », Ugo Tognazzi sont savoureuses. L’acteur prépara lui-même une carbonara pour 350 invités au 48ème étage de l’hôtel Hilton de New-York à la demande de son producteur.
La véritable histoire des pâtes de Luca Cesari – Les dix recettes qui ont fait l’Italie et conquis le monde – Traduit de l’italien par Marc Lesage – Buchet-Chastel
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