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La tuerie de Toulouse n’est pas un fait divers


Connaissez-vous la différence entre une « tragédie nationale » et un « fait divers » ? Je vous donne un indice, c’est la même qu’entre un « terroriste » et un « tueur ». Question d’origine. Je sais, ce n’est pas très républicain, mais c’est Le Monde qui le dit. Le 20 mars, quand on pensait que l’assassin était un « de souche » bas du front, la tuerie de Toulouse était une tragédie nationale qui appelait chacun d’entre nous (mais certains plus que d’autres) à faire son examen de conscience. Une semaine plus tard, après que le tueur s’était révélé être un délinquant-djihadiste, Le Monde s’interrogeait en une : « Toulouse : fait divers ou fait politique ? » En somme, l’affaire était riche d’enseignements tant qu’on ne savait pas ; une fois les faits connus, les choses devenaient beaucoup moins claires. Curieuse logique, en vérité, que celle qui a vu notre éminent quotidien basculer en quelques jours de la certitude à la perplexité. Faut-il en conclure que les événements de Toulouse sont finalement dénués de toute signification politique ou qu’ils n’ont pas la signification qu’on avait envie de leur prêter ?

Le 20 mars, au lendemain de la tuerie du collège Ozar Hathorah (mais avant le début de l’opération du RAID), l’éditorial, intitulé « Tragédie nationale, réflexion nationale », invitait la France à faire pénitence. François Bayrou, seul candidat à avoir maintenu un meeting le soir de la fusillade, recevait un hommage appuyé pour avoir « posé, gravement, des questions fortes » : « ce type de folie s’enracine dans l’état d’une société où le degré de violence et de stigmatisation est en train de grandir », avait notamment déclaré le candidat centriste. Pour violente qu’elle fût, la charge était justifiée, estimait Le Monde : « Elle vise une responsabilité collective. Tant il est clair que le rejet de l’Autre – plus encore : la haine de l’Autre – est un poison mortel pour la République. » Au cas où quelques-uns eussent mal lu entre les lignes, on me permettra d’expliciter le propos : le bras de l’assassin, qui avait abattu trois militaires d’origine maghrébine et grièvement blessé un quatrième, d’origine antillaise, avait été armé par les suspects habituels, de Nicolas Sarkozy à Marine Le Pen en passant par Claude Guéant et Eric Zemmour. Entre-temps, François Hollande s’était rué dans la brèche, pour dispenser à la France d’en bas comme à celle d’en haut sa propre leçon de maintien langagier : « Il y a des mots qui influencent, qui pénètrent, qui libèrent, ceux qui ont des responsabilités doivent maîtriser leur vocabulaire. Au sommet de l’État, rien ne peut être toléré. » À son tour, Jean-Luc Mélenchon invitait « d’aucuns à mesurer mieux le poids des mots et le choix des citations » – allusion transparente à la référence que Jean-Marie Le Pen avait faite à Brasillach. Les grandes consciences de l’antiracisme se relayèrent pour propager cette explication réconfortante : Dominique Sopo, patron de SOS Racisme, s’interrogeait sur l’« affaissement de la parole politique, intellectuelle et médiatique » responsable, selon lui, de la dégradation du « vivre-ensemble », tandis que Bernard-Henri Lévy s’en prenait, dans Le Point, aux « pyromanes de la défense d’une « identité nationale » perçue comme une entité fermée, frileuse, nourrie au ressentiment et à la haine. » La France avait son Breivik, preuve sanglante des méfaits causés par la « libération de la parole » – il est tout de même surprenant d’entendre les héritiers autoproclamés de Voltaire dénoncer en boucle la « parole libérée » comme l’origine de tous nos problèmes.

L’ennui, c’est que cette magnifique construction s’effondra quand on apprit que le tueur n’était pas un de ces crânes rasés qu’on adore détester, ni même un lecteur d’Alain Finkielkraut, mais un djihadiste qui prétendait venger les enfants de Gaza et punir la France de son engagement en Afghanistan – on n’aura pas le mauvais goût de demander dans quelles gazettes il s’était informé sur la situation des Palestiniens. « Crimes racistes » il y avait, mais ce n’était pas le « bon racisme » – qui ne saurait être autre que celui du dominant à l’encontre du dominé.

Prise d’un scrupule rétrospectif, la classe politique découvrit donc que l’affaire était « complexe » et qu’il fallait se garder de toute conclusion hâtive – seules Cécile Duflot et Eva Joly continuant à accuser à mots très peu couverts Nicolas Sarkozy. On dénonça préventivement le risque de « stigmatisation », préoccupation fort légitime au demeurant, quoique même Marine Le Pen se fût gardée de mettre en cause l’« islam » en tant que tel. Le Monde reconnut que le président du MoDem avait « pris des risques, lundi 19 mars, en posant le diagnostic d’une société malade de ses divisions », sans aller toutefois jusqu’à rappeler qu’il avait pris les mêmes…

Il est cependant étrange que l’on puisse se demander si l’équipée meurtrière de Mohammed Merah relevait du « fait divers », c’est-à-dire d’un acte individuel isolé qui n’aurait nullement pris racine dans les « divisions de la société ». Pas de climat malsain, pas de terreau favorable, pas de discours nauséabonds ayant armé le bras meurtrier, vraiment ? Pas d’islam radical, pas d’antisémitisme dans nos banlieues ? Merah était français, a-t-on répété en réplique au Front national qui établissait un lien entre la tragédie et l’immigration. Justement, c’est cela qui devrait nous requérir collectivement : que s’est-il passé pour que l’ancien élève de l’école Ernest Renan (tout un symbole) n’ait eu d’autre rêve que de mettre son pays à genoux ? Mohamed Merha était peut-être un « fou isolé », un monstre solitaire, il n’en est pas moins la preuve de ces « échecs de l’intégration » dont il ne faut surtout pas parler, ce qui est le meilleur moyen de ne jamais les résoudre. Alors sans doute faut-il se garder des accusations simplistes et des amalgames dangereux. Le Monde nous l’a rappelé: « Le rejet de l’Autre – plus encore : la haine de l’Autre – est un poison mortel pour la République. » Peut-être cet amour de l’Autre devrait-il commander d’entendre des points de vue différents sans les disqualifier sous les espèces de la réaction et plus si affinités. Chers confrères, j’ai envie de vous dire qu’il y a un autre poison, tout aussi mortel pour la République : c’est la dénégation du réel.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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