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La triche, c’est la vie


La triche, c’est la vie

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Quelle hystérie ! La main de Thierry Henry a déclenché des indignations toujours morales, parfois légitimes mais le plus souvent grotesques. Certes, ce n’est pas un bon exemple pour nos chers petits que l’on tente encore de persuader de la glorieuse incertitude du sport entre deux jeux-concours pour attrape-nigauds de TF1. Certes, l’équipe nationale a joué comme une bande de chèvres et a manqué d’élégance (sauf le chat Lloris) du début à la fin du match. Certes, les embrassades des joueurs après le but avaient quelque chose d’obscène, d’indécent.

Mais quiconque se rappelle avoir joué un match de foot sait bien que, dans l’enfer du jeu, la morale s’échappe très loin des crampons. Même dans le foot amateur, même dans celui qui se pratique sur un terrain vague (quoique, avec l’immobilier, il y en a de moins en moins) ou sur une plage, la tentation de la triche est permanente.

[access capability= »lire_inedits »]On peut toujours brûler Thierry Henry au bûcher des tricheurs. Mais c’est la vie d’un tricheur ou l’arnaque que les gens vont voir au cinéma. Le gangster fait plus recette que la vie du Christ. Et je ne souhaite pas un monde sans triche, même à mon pire ennemi. Un autre monde est peut-être possible. Mais sans tricheurs, quel ennui!

Sans parler du fait qu’à entendre les partisans des excuses nationales − auxquels Ségolène Royal ne s’est pas encore jointe − il faudrait aussi demander des excuses aux Serbes pour l’exclusion du gardien de but de la France lors de la phase éliminatoire ; exiger une autocritique vis-à-vis de l’expulsion de Blanc en demi-finale du Mondial de 1998 ; convoquer d’urgence Angela Merkel à l’Elysée pour l’agression de Battiston par Schumacher lors du France-Allemagne de demi-finale de la Coupe du monde 1982.

Mais il y a sans doute bien autre chose dans les cris d’orfraie. On sent le désir irrépressible, chez certains, d’éprouver une honte nationale. Ah, c’est qu’ils n’en sont pas fiers de la qualification française ! À juste titre. Mais la main d’Henry donne à beaucoup l’envie de s’excuser. Pour les crimes du colonialisme. Pour les enfants juifs envoyés dans les camps durant l’Occupation. Pour la torture en Algérie. Pour le renvoi des Afghans. Pour le non-passage du nuage de Tchernobyl au-dessus des campagnes françaises. Bon, allez, on arrête là, la ligne est trop difficile à tenir : comment être contre la triche et défendre Thierry Henry ? Contre le foot tout-fric et la honte nationale ? Contre la torture en Algérie et contre le fait de s’en excuser encore cinquante ans après ? OK, je renonce.

Il ne me reste plus qu’à beugler avec la meute : Henry, démission ! L’Irlande au Cap !

PS : Sans revenir forcément sur le sens général ce que j’ai écrit à chaud, quelques jours de recul m’ont permis de saisir ce qui ne se percevait pas sur le moment : la réaction contre la main d’Henry peut aussi être interprétée comme une réaction patriotique sur le thème : « La France ne peut pas vaincre sans panache ». Si c’est le cas, et sans doute ce sentiment doit exister (la preuve, dimanche 22 novembre, un amateur a volontairement raté un penalty qui ne lui paraissait pas mérité en faveur de son équipe), j’ai pêché par pessimisme… [/access]

Décembre 2009 · N° 18

Article extrait du Magazine Causeur



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Philippe Cohen est journaliste et essayiste, rédacteur en chef de l'hebdomadaire Vendredi.

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