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Dans la horde primitive de la teuci

«La Tour», de Guillaume Nicloux, en salles le 8 février


Dans la horde primitive de la teuci
© Wild Bunch

Dans le film d’horreur français « La Tour », Blancs, Noirs et Maghrébins se coudoient dans une proximité conflictuelle étouffante. Le film, d’une très grande violence, n’épargne pas les starlettes Angèle Mac et Hatik… Critique.


Dans L’Ange exterminateur, film génial de Luis Buñuel millésimé 1962, un étrange sortilège s’abat sur les invités d’un raout mondain dans une opulente villa mexicaine, leur interdisant soudain de quitter les lieux, tandis que le personnel de service s’évanouit dans la nature. L’enfermement ranime chez ces gens, a priori bien élevés, les instincts les plus primaires, déclenchant dans ce microcosme une sauvagerie où se dissolvent bonnes mœurs et bonnes manières.

Séquences gores et dénouement morbide

Le cinéaste Guillaume Nicloux transpose à sa manière l’argument, mais cette fois dans une de ces « cages à lapins » de béton qui agrémentent si joliment le paysage de nos banlieues contemporaines.

La Tour a été effectivement tourné dans une tour d’Aubervilliers « en attente de réaménagement », dixit le dossier de presse du film. Le postulat est identique au chef d’œuvre du Septième art mentionné plus haut, dont il figure une manière de transposition sous nos latitudes, en 2023. Sinon qu’ici le sortilège prend une coloration concrète, explicite : brusquement, un voile opaque ceinture toutes les issues, portes et fenêtres, de cet « immeuble de grande hauteur », comme on dit.  Et tout corps ou objet cherchant à s’échapper au dehors se voit aspiré sans recours dans ce trou noir ; le dehors n’est plus qu’un gouffre mortel ; voilà les habitants pris au piège : l’édifice sera leur prison – peine à perpétuité.

Le fantastique chez Buñuel relevait d’un imaginaire surréaliste traversé d’humour, tandis qu’ici le registre de l’horreur baigne cet enfermement dès les premières images, dans la même tonalité de vomissure glauque qui clapotera, grevé de séquences gores, jusqu’au dénouement morbide. Au-delà du parti pris horrifique (qui tient parfaitement ses promesses), l’intéressant, c’est la crudité de cette vivisection dans le corps social d’une tour générique de cité telle qu’on l’observe communément dans la France de 2023. D’un bout à l’autre du film, ce ne seront que coups frappés dans des portes d’appartements que leurs occupants terrifiés ouvrent en tremblant, sous la contrainte. De fait, avant même que de se voir collectivement emmurés vivants dans leur logis, les habitants sont condamnés au clanisme ethnique, confessionnel et racial :  blancs, noirs, maghrébins se coudoient dans une proximité conflictuelle, dont le régime de claustration ne fera qu’exacerber jusqu’à l’extrême, en somme, les pathologies organiques: d’où prostitution, cannibalisme, viol, torture, séquestration, assassinat, famine organisée, etc. Non sans procurer au spectateur une certaine joie sadique, le récit déroule ainsi par étapes ( « six mois plus tard » ; « cinq ans plus tard »…), sur un grand nombre d’années, le délitement d’un microcosme urbain revenu, au stade ultime, à l’état  de horde primitive. Miroir grossissant d’une réalité tribale : celle de nos cités ?

Un réalisateur qui ne fait pas dans la dentelle

Cinéaste éclectique entre tous, également acteur et romancier –  capable de naviguer d’une adaptation de Diderot (La Religieuse), à la comédie acide (Le Poulpe), en passant par le cinéma noir, jusqu’au film de guerre (Les Confins du monde, avec Gaspard Ulliel et Gérard Depardieu), le docu-fiction (jusqu’à employer Michel Houellebecq dans son propre rôle)… – Nicloux ne fait pas dans la dentelle. D’une violence sans limites et d’un pessimisme métaphysique absolu, La Tour affiche une position peu conforme à l’irénisme de bon aloi dans les chaumières de la bien-pensance.

Ce quand bien même, aux côtés de la ravissante Angèle Mac (au physique passablement éprouvé tout de même, dans le film, au fil de ses épreuves) le casting s’enjolive du bel Hatik, nouvelle coqueluche du rap « issu-de-la-diversité ». Lequel, pas de chance, coitus interruptus se verra défénestré dans le plus simple appareil, dévoré vivant par le trou noir –  le film finissant sans lui.      

La Tour. Film de Guillaume Nicloux. Durée : 1h29. En salles le 8 février 2023




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