Notre société est menacée de l’intérieur par deux formes de totalitarisme. L’écologisme (le sujet de notre dossier d’octobre) veut réglementer notre vie économique en nous imposant sobriété et pénitence. Le féminisme ambitionne de réglementer notre vie intime en légitimant la délation et les condamnations sans procès.
Deux spectres hantent le monde : l’écologisme et le féminisme. Avec la même ambition : fabriquer un homme nouveau, une humanité délivrée de sa part maudite. Aussi ne s’étonne-t-on pas d’observer, chez leurs partisans, les tentations liberticides et mortifères de tous les systèmes totalitaires.
Je vous vois bondir : comment osez-vous, quand des femmes meurent sous les coups de leur conjoint et que les victimes du changement climatique tomberont bientôt par milliers ? Je vous l’accorde, il n’y a pas de goulag – pas encore. La peine maximale encourue par les dissidents, réels ou supposés, est « seulement » la mort sociale. Reste que nous avons bien affaire à deux révolutions qui ne se contentent pas de dévorer leurs enfants. Elles installent dans le débat public une atmosphère délétère où chacun est un coupable en puissance. Sans recourir à la violence physique, elles entendent régenter tous les aspects de nos vies et jusqu’à nos pensées, afin de soumettre l’ensemble du réel à leur grande explication. Aussi peut-on parler de deux « totalitarismes d’atmosphère ». Pour aggraver notre malheur, il n’y a aucune chance que ces deux funestes idéologies s’affrontent dans une guerre froide. Au contraire, elles marchent main dans la main, comme le démontre la riante invention de l’écoféminisme, incarnée par Sandrine Rousseau, qui semble être le fruit des amours entre Robespierre et Beria. La folie climatique étant l’objet de notre dossier d’octobre, on se concentrera ici sur les derniers méfaits du néo-féminisme.
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Pour les croisés (beaucoup d’hommes adorent tendre l’autre joue) de la sainte cause des femmes, l’ennemi du peuple a un visage : celui du mâle blanc. En plus d’être responsable du malheur des dames, ce salaud est coupable de tout ce qui va mal, de la pollution au racisme, de la guerre à la souffrance animale… Peu importe que sa culpabilité soit réelle, comme Clémentine Autain l’avait expliqué à Taha Bouhafs en lui annonçant son « retrait » : « Pendant 1 000 ans les femmes n’ont pas été entendues, tu payes peut-être aussi pour les autres, c’est un choix politique. » Si ce n’est toi, c’est donc ton père, ton frère, ton fils ou ton concierge.
Il doit donc expier, en cédant à la moitié dominée de l’humanité tous les attributs de son pouvoir, toutes les places qu’il occupait indûment. Pour un homme, être nommé à la tête d’une grande entreprise publique ou d’un gouvernement est presque impossible. Chercher la femme est devenu la grande occupation des repentis. Les dernières seront les premières. Il ne s’agit pas de faire advenir un monde où hommes et femmes peuvent s’aimer, se détester et se chamailler en toute liberté (ça c’était le boulot, largement accompli, du féminisme à l’ancienne), mais de réparer une injustice par l’inversion radicale. À notre tour d’en croquer ! Les grandes proclamations de justice maquillent très souvent une implacable lutte des places, la preuve par Sandrine Rousseau[1].
Pour le totalitarisme féministe, la prise du Palais d’Hiver, c’est le mouvement #Metoo, objet d’adoration extatique, y compris chez ses futures victimes, qui n’ont pas compris que le délirant « Femmes, on vous croit » du président légitimait tous les échafauds à venir.
La gifle avouée par Adrien Quatennens et les maltraitances supposées, dénoncées, par Sandrine Rousseau interposée, par une « ex » de Julien Bayou (sans la moindre preuve) rassemblent tous les éléments caractéristiques des heures les plus sombres : loi des suspects, délation, autocritique, espionnage de la vie privée, procès sommaire (instruits et jugés dans les médias), criminalisation de la divergence, censure des œuvres « bourgeoises » (en l’occurrence sexistes), sans oublier un pachydermique esprit de sérieux.
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Les réactions publiques à ces deux lynchages montrent que la terreur fait son œuvre. Tout le monde sait que, dans une relation amoureuse, finissante ou pas, il y a du conflit, de la volonté de possession, de la violence – symbolique et parfois réelle. Nous avons tous connu des femmes quittées qui faisaient vivre un enfer à leur ex (d’accord, des hommes aussi, mais ils sont souvent moins inventifs dans leur folie et parfois bien plus brutaux, puisque certains, rarissimes heureusement, finissent par tuer). Nous savons aussi que dans une bagarre, un geste malheureux peut partir et que ça ne fait pas forcément de son auteur un cogneur pathologique. Oui, un homme ça s’empêche, mais qui peut se targuer de n’avoir jamais cédé à la colère ? Bref, il arrive que des gifles soient données et pardonnées. Et pourtant, nous avons assisté à un défilé de maîtresses d’école et de bons élèves ânonnant : « Une gifle, c’est inadmissible, inacceptable, inqualifiable et il n’y a pas de mais ! » Qui flanque une baffe tuera sa femme.
Il suffit d’avoir lu un roman pour savoir que les relations amoureuses ne sont pas toujours (en réalité jamais) régies par l’égalité, le respect mutuel, la compréhension, la transparence et la bienveillance. Pensez à la sympathique Mathilde de La Môle et à ce benêt volage de Julien Sorel… Ah, mais me dit-on, ça c’est la fiction. Notre amnésique époque ne sait plus que la vérité se trouve dans les romans – le « mentir vrai », disait Aragon. Des siècles de culture humaine semblent englués dans un sirop de bons sentiments. René Girard le pressentait : le mensonge romantique l’a emporté sur la vérité romanesque.
[1]. Dont il n’a échappé à personne qu’elle avait balancé Julien Bayou, quelques semaines avant le congrès où elle espère prendre sa place.