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La télévision sous parasol

Les dossiers d’été de Monsieur Nostalgie (3)


La télévision sous parasol
L'animateur Vincent Perrot D.R.

« Quarante degrés à l’ombre », l’émission balnéaire des années 1980/1990 qui sauva nos étés meurtriers


Il fait chaud, trop chaud, pour soulever son corps du canapé. Toute tentative de bouger est vouée à l’échec. Les volets du salon sont clos, un ventilateur des années 1950 brasse de l’air chaud, dehors le goudron se transforme en flaques d’huile, la route qui passe à trois cents mètres au-dessus de la maison n’a pas vu une automobile depuis la fin de matinée, même le bruit des moissonneuses-batteuses semble étouffé par la langueur de ce mois d’août ; y a-t-il encore traces d’une vie humaine dans le canton ? Les ufologues en doutent. L’été sera long cette année. Les vacances scolaires sont le calvaire des enfants ruraux, deux mois d’une inactivité propice à l’engourdissement de l’esprit et à une forme de désengagement citoyen. Reléguée dans des villages à l’abandon, cette jeunesse de France n’attendait déjà rien des pouvoirs publics à la fin des années 1980. Ici, pas de médiathèque Pablo Neruda, de centres de loisirs, d’activités nautiques, de terrains de sport tridimensionnels, de cours de breakdance, de gentils éducateurs ou d’ateliers circassiens, le campagnard en gestation n’avait pas vocation à devenir sportif ou artiste, intellectuel progressiste ou start-uppeur assisté par l’État, il observait le délitement du temps avec indifférence et une pointe de lassitude. Il ne comptait pas dans les cadres de la République, l’homme surnuméraire, c’était lui. Alors, il s’adonnait à l’oisiveté sans réel plaisir, entre une consommation excessive de « Pouss Pouss » Miko planqués dans le congélo et le briquage de son bicross dans le garage. Aujourd’hui, on appelle ces vélos tout-terrain des BMX, l’acronyme lui a fait perdre son côté bucolique et sous-préfet aux champs. Des heures durant, dans un état semi-léthargique, ce collégien en déshérence perdait son regard dans les jantes à bâtons jaunes de son Motobécane. À ce moment précis de sa monotonie, il ne pensait pas au TGV, au Minitel, à la 205 GTI, à la cohabitation ou à la crise des DOM-TOM. Il attendait cependant qu’un improbable événement vienne faire dérailler son atone existence. Sans trop y croire, tout de même. Il avait été lâché par toute la société animée par l’expansion économique et la chute des barrières douanières. Nous n’étions pas dans le Midi, les plages de la Méditerranée se trouvent à six cents kilomètres et le soleil ici-bas ne bronze pas, il brûle les foins, il coupe la respiration, il enlève toute foi dans l’avenir, il bloque les pas. Si l’école avait échoué à nous donner envie de lire et d’apprendre, la télévision nous lançait, chaque année, une bouée de sauvetage, tous les après-midis sur FR3 puis France 3 pendant au moins deux heures pleines. L’émission « 40 degrés à l’ombre » fut certainement entre 1987 et 1997 le meilleur rempart face aux émeutiers et aux caillassages. Elle calmait les révoltes achélèmes, dégonflait les colères urbaines et limitait les suicides vicinaux. Nous lui devons tant. Elle eut des vertus apaisantes sur nos cicatrices départementales. Sans elle, nous aurions eu encore plus de délinquance et de politiciens spongieux. Remettez-nous Vincent Perrot et Caroline Tresca et je peux vous assurer que le calme reviendra dans notre pays en moins de 24 heures. Cette tournée des stations balnéaires de Bénodet à Collioure nous permettait à peu de frais de regarder des gens en maillot de bain, des playbacks foireux, des jeux de la séduction à la limite de la correctionnelle et des chroniques tirées par les cheveux à base d’animaux, de folklore local et d’érotisme chaste. Nous n’étions pas dupes de l’amateurisme ambiant et d’une forme de légèreté surjouée, à vrai dire, très agréable, très partageuse, très saine. En ce temps-là, les chaînes n’œuvraient pas dans les poncifs, tous les sujets n’étaient pas censés nous alerter sur les dangers identitaires et climatiques. Nous étions alors dégagés de toute responsabilité. Il n’y a rien de plus réconfortant que de voir d’autres Français en slip et topless. Par contumace, nous pataugions dans ce bonheur un peu trop lumineux et graisseux pour être totalement vrai. Tant pis, l’intention de nous extraire de notre lenteur provinciale était animée par de bons sentiments. Rien que de repenser à Thierry Beccaro, Pascal Sanchez et à Isabelle Martinet, je regrette ce temps béni de la « 3 ». Un jour, nous avions même eu une frousse terrible lorsque l’inestimable Marie-Ange Nardi fut attaquée par un lion. Et que dire de la séquence dite « Le tombeur » avec la participation de la compagnie Air Inter où un certain Gérard, professeur de ski nautique et une Brenda à l’accent américain se dragouillaient à l’antenne ou de ce massage des pieds, sous le regard interloqué de Julie Piétri, orchestré par une certaine Chantal qui affirmait : « J’essaye de transmettre à travers mes massages l’amour ». Cette insouciance-là, nous manque.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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