Mohamed Sifaoui décrit l’infiltration massive des islamistes dans son nouveau livre Taquiyya ! Renée Fregosi l’a lu.
Dans son dernier ouvrage intitulé Taquiyya !, Mohamed Sifaoui nous présente de façon rationnelle et documentée, mais avec son entrain et son humour habituels aussi, les acteurs et les méthodes de l’offensive des Frères musulmans. L’ouvrage est foisonnant, un peu touffu parfois, mais toujours passionnant. Si la stratégie des Frères musulmans consiste essentiellement dans une entreprise d’infiltration, d’entrisme, et que sa tactique relève donc principalement de la dissimulation, de la dite taquiyya, on verra que les attentats terroristes collectifs ou individuels (comme celui qui vient encore probablement d’ensanglanter la Préfecture de police de Paris) ne sont pas absolument sans lien avec la doctrine islamiste globale à laquelle se rattache celle des Frères musulmans.
Nébuleuse transnationale
Didactique et convainquant, Mohamed Sifaoui reconstitue la galerie des personnages qui d’hier à aujourd’hui ont élaboré, fait évolué, porté, exporté et mise en œuvre la doctrine et la stratégie des Frères musulmans. De Hassan Al-Banna, le fondateur égyptien en 1928 au jeune propagandiste français Nabil Ennasri, en passant bien sûr par « le maître » Youssouf Al-Qaradhaoui, qui reformula la doctrine et dont l’ouvrage Le licite et l’illicite en islam constitue la grande référence des islamistes (activistes et terroristes), Mohamed Sifaoui nous dresse les portraits des acteurs-clés de cette nébuleuse islamiste transnationale. On y retrouve évidemment en autres,le tristement célèbre Sayyed Qutb, qui écrivit l’opuscule clairement antisémite intitulé Notre bataille contre les juifs.
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Car il s’agit bien d’un réseau qui à partir du Moyen-Orient a tissé sa toile principalement vers l’Europe et le Maghreb. On suit les liens d’amitié et d’allégeance, de clientélisme et d’intérêts divers, les circuits de formation, les lieux de rencontre et d’échange, et on découvre l’ampleur des champs d’intervention et le nombre d’organisations et d’associations fréristes de toute nature qui irriguent notamment le territoire français. A cet égard, il s’agit d’une remarquable enquête de journaliste au long cours à laquelle se livre Mohamed Sifaoui.
Une enquête fournie sur les réseaux islamistes en France
Ainsi par exemple, il nous rapporte un propos saisissant d’un responsable du CFCM (Conseil Français du Culte Musulman, créé en 2003, que l’organisation des Frères musulmans, l’UOIF, investira puis quittera dix ans plus tard après en avoir tiré parti) : « …si des personnes liées à l’UOIF sont éparpillées sur le territoire national, ce n’est pas le fruit du hasard. Si Abdelhaq Nabaoui est en Alsace, Amar Lasfar dans le Nord, Tareq Oubrou à Bordeaux ou Azzedine Gaci dans la région lyonnaise, à Villeurbanne, c’est aussi pour se répartir les rôles et être présents localement. Si les pouvoirs publics prétendent ignorer cela, c’est qu’ils vous mentent ». Mohamed Sifaoui nous expose en effet la stratégie d’implantation et les méthodes d’infiltration des Frères musulmans, en France tout particulièrement.
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La discrète et efficace entreprise frériste prend forme sous nos yeux au fur et à mesure que nous sont révélés ses différents éléments, comme notamment l’IESH. Intitulé en français « Institut européen des sciences humaines » (excusez du peu !), le nom de cet « institut de formation » se décline en arabe (comme le signale le panneau indicateur) en « Faculté européenne des études islamiques » ( !). Situé dans un village du nom de Bouteloin, dans la campagne de Château-Chinon, il a été créé en 1990 par Mahmoud Zuhaïr (co-fondateur de l’UOIF et président du Comité de bienfaisance et de solidarité avec la Palestine). L’IESH forme en nombre, prédicateurs, prêcheurs et imams, et accueille également d’autres « étudiants » parmi lesquels on retrouve par exemple Thomas Barnouin, le terroriste arrêté en Syrie en 2017…
Fermentation anti-occidentale
Pour définir l’objectif de cette stratégie des islamistes, Mohamed Sifaoui commence alors très justement par poser le contexte grâce à quelques rappels historiques et dates marquantes. « La première : 1979 ! C’est incontestablement l’année islamique. Elle constitue le tournant par excellence ». Avec bien sûr la révolution iranienne conduite par l’ayatollah Khomeiny, d’un côté, et de l’autre, la signature par le président égyptien Anouar Al-Sadate du traité de paix avec Israël qui révulsera tout particulièrement les Frères musulmans, dont les fondateurs avaient nettement marqué leur hostilité à l’égard des « sionistes ». Par ailleurs, dès 1982, sous l’impulsion des autorités saoudiennes, des Frères musulmans commencent à s’engager en Afghanistan, futur foyer d’Al-Qaïda comme l’on sait. Se poursuit ici sous d’autres forme l’alliance entre le wahhabisme et la confrérie (qui avaient connu leur « lune de miel » dans les années 60 lors notamment de la création de la Ligue islamique mondiale en 1962).
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« Pendant ce temps en France, l’installation de la pensée des Frères musulmans s’opère en silence », par l’action de nombreux immigrés accueillis comme réfugiés politiques ou étudiants qui diffusent leur doctrine dans les banlieues qui deviennent depuis quelques années, notamment par le regroupement familial, des espaces de repli identitaire et de fermentation anti-occidentale. Mais la seconde date-clé c’est 1989 : avec l’affaire des foulards de Creil et la sortie en France des Versets sataniques de Salman Rushdie. La description par Mohamed Sifaoui des méthodes d’infiltration frériste est ici encore saisissante et entraîne la conviction.
Sifaoui refuse de voir certains aspects de l’islamisation
En revanche, on aurait aimé que sa démonstration quant à la définition de l’objectif poursuivi par les islamistes soit plus rigoureuse car pour être segmentée dans les différentes parties de l’ouvrage, le fil s’y perd et s’affaiblit notre adhésion au propos discursif. Dès son avant-propos Mohamed Sifaoui remet en effet en cause l’hypothèse d’une volonté « d’islamisation de la France » de la part des islamistes. Il assimile cette idée à la fumeuse théorie du « grand remplacement » dit-il, et cela reviendra comme un leitmotiv tout au long de l’ouvrage.
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Or tout d’abord, si on le suit tout à fait pour admettre que les Frères musulmans ne projettent pas de prendre le pouvoir par les armes sous la forme d’une lutte armée classique, il faudrait quand même expliquer la logique des attentats terroristes. Car s’ils ne sont pas directement pilotés par les Frères musulmans, leurs auteurs ne sont pas sans avoir souvent quelques connexions avec la confrérie comme le montre clairement Mohamed Sifaoui lui-même. Quant à l’hypothèse de la prise du pouvoir politique par les urnes, elle est aussi rejetée, mais l’argumentation demanderait à être développée, d’autant que des candidatures fréristes aux prochaines municipales sont en perspective en plus grand nombre semble-t-il qu’aux scrutins précédents.
La démocratie menacée
Mais plus problématique encore est la conciliation entre d’une part cette affirmation qui se veut rationnelle et rassurante selon laquelle les Frères musulmans ne chercheraient pas à prendre le pouvoir en France, et d’autre part, toute la démonstration absolument convaincante de leur réussite à investir le terrain et à influencer les responsables politiques des élus locaux au plus haut niveau de l’Etat. A quoi bon ce dispositif de « soft-power » installé grâce à des « alliances visibles » tandis que « l’hostilité [reste] invisible » ? L’objectif des islamistes en Occident serait-il simplement de « salafiser » les musulmans qui y vivent sans intervenir dans le mode de vie des « mécréants », « l’islamisation des pays européens qui n’ont jamais été musulmans [n’étant] pas un objectif mais un idéal » ? Mohamed Sifaoui l’affirme mais ne semble pourtant pas y croire réellement. Si « leur projet originel consiste à infiltrer progressivement et discrètement leur doctrine, au niveau national, au cœur de la bâtisse institutionnelle et, au niveau local, au sein des collectivités », n’est-ce pas pour « islamiser » d’une certaine façon, les pays non musulmans eux aussi ?
D’ailleurs, Mohamed Sifaoui y insiste bien : les islamistes considèrent la laïcité comme leur ennemi et s’ils utilisent, « pour le moment » (comme aime à dire Tareq Oubrou), la démocratie pour s’infiltrer, ils en sapent à la fois les fondements, et lui porteront le coup fatal en temps voulu. Et Mohamed Sifaoui de conclure son livre par ses mots : « L’islam politique représente une menace stratégique sur le long terme parce qu’il a l’ambition, non pas de prendre le pouvoir, mais de fracturer la société démocratique et de l’affaiblir ». Alors, lorsque la démocratie tombera comme un fruit mûr, qui s’emparera du pouvoir ? Si ce n’est pas le totalitarisme islamiste c’en sera un autre. Pourquoi donc les Frères musulmans travailleraient-ils pour d’autres totalitaires qu’eux-mêmes ?
Autant de questions qu’ouvre le passionnant ouvrage de Mohamed Sifaoui qu’on lit comme un thriller. Et on souhaite poursuivre le débat, en se fondant notamment sur éléments factuels en grand nombre et d’une grande richesse que nous fournit ici Mohamed Sifaoui.
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