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La synagogue de la discorde


La synagogue de la discorde
Salle de culte de la synagogue Copernic, par l'architecte Marcel Lemarie, 1924 / François Loyer / SOS Paris

Le projet de démolition-reconstruction de la synagogue Copernic, unique exemple à Paris de lieu de culte Art déco, déchaîne les passions. Derrière cette polémique patrimoniale, deux visions opposées de la vie culturelle juive.


Tout commence par une banale question de mise aux normes de sécurité. Fin 2013, l’ULIF (l’Union libérale israélite de France) se voit signifier l’obligation de moderniser les infrastructures de la synagogue de la rue Copernic, construite en 1924, pour continuer d’accueillir ses fidèles. Or, l’installation de nouveaux ascenseurs et cages d’escalier rognerait de 30 % la surface des locaux. Face à ce constat et à la nécessité de mener des travaux, la direction de l’ULIF propose, en 2015, un projet d’une tout autre envergure : tout détruire pour reconstruire un nouvel édifice qui, agrandi, pourrait abriter, outre une salle de culte et son administration, un centre culturel. Le problème est que derrière l’actuelle façade côté rue, banale et sans charme, se cache l’unique synagogue Art déco de Paris.

Historique à plus d’un titre

Dès lors, quelques membres de cette communauté se mobilisent pour bloquer le projet. À l’initiative d’Eva Hein-Kunze est créée l’Association pour la protection du patrimoine de Copernic (APPC). L’APPC ne s’oppose pas à la construction d’un nouveau centre culturel, mais à la démolition de la salle de culte qui, n’étant ni inscrite ni classée, peut être offerte aux bulldozers. Dominique Jarrassé, historien spécialiste du patrimoine juif français, met en avant les qualités de l’architecte de cette synagogue, Marcel Lemarié qui, en « utilisant le béton, a dessiné des structures portantes audacieuses avec des porte-à-faux qui répondaient à un programme complexe », et précise que « cette option moderniste, qui allait à l’encontre de la tendance encore dominante des synagogues conçues sur le modèle des églises, se trouvait en parfaite adéquation avec les principes rationalistes défendus par le rabbin fondateur de l’ULIF Louis-Germain Lévy. » À cela s’ajoute un programme décoratif sobre mais parfaitement représentatif de l’Art déco : le long des murs courent des inscriptions hébraïques stylisées en lettrines dorées, et des cartouches en bas-relief montrent des objets rituels, tels le chandelier et la lyre du psalmiste, ainsi que d’autres stucs blancs et or aux motifs végétaux géométrisés. La salle ayant été bâtie dans une cour, entre deux immeubles adossés aux réservoirs de Passy, la seule source de lumière possible est zénithale. C’est pour cela que le plafond s’orne d’une verrière en vitrail – datée et signée « 1924 P.J. Tranchant » – représentant l’étoile de David au cœur d’un grand soleil aux rayons jaunes, bleus et rouges, et d’un lanternon percé de huit fenêtres, qui culmine à une dizaine de mètres.

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Le projet défendu par l’ULIF prévoit de transférer la salle de culte du rez-de-chaussée au premier étage. C’est là que seraient reconstitués les éléments du décor : avant d’être détruits, les stucs seraient moulés et le vitrail démonté pour être remonté, et ses défenseurs arguent même que cette opération permettrait de retrouver le décor complet, puisqu’une partie de la frise de texte a disparu dans le percement d’un mur en 1968. La nouvelle salle, plus grande, respecterait ainsi « l’esprit » de la synagogue originelle. Mais les opposants défendent, au-delà de cet esprit, les volumes historiques du lieu, car ils témoignent de l’implantation du judaïsme dans la ville au xxe siècle. Une intégration et une discrétion que souligne Dominique Jarassé : « D’une configuration qui la situe entre la synagogue monumentale – même si elle n’a pas de façade – et l’oratoire caché, la synagogue Copernic témoigne d’un type de lieux de culte qui ont été peu conservés. La propension des instances patrimoniales à protéger les édifices imposants leur a fait négliger un type d’édifices tout aussi important que les grandes synagogues qui témoignent seulement d’un aspect de l’histoire des lieux de culte juif. Aucun oratoire n’est protégé. À Paris, il reste une dizaine d’oratoires anciens, dans le Marais en particulier, mais aucun n’est inscrit pour transmettre la mémoire de ce type de pratique qui caractérise les groupes nouvellement immigrés : juifs originaires d’Europe de l’Est dans le Marais, sépharades rue Popincourt, etc., ou les “dissidences” par rapport au Consistoire, petits groupements orthodoxes et, bien sûr, libéraux. »

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Parallèlement à la question patrimoniale, le sort réservé à la synagogue Copernic révèle l’opposition de deux visions, deux conceptions du judaïsme au xxie siècle. Si, d’un côté, les défenseurs de l’édifice estiment qu’il doit conserver sa salle de culte pour des offices confidentiels, demeurer en l’état en tant que lieu de mémoire (c’est ici qu’est né le mouvement libéral et deux attentats y ont été perpétrés), les tenants du changement incarnent un judaïsme à l’américaine, pour qui l’époque est aux centres communautaires, voire aux centres culturels ouverts au plus grand nombre, comme il en fleurit en région parisienne. Une réaffirmation du judaïsme dans l’espace public, en somme, qui s’illustre aussi ici par le projet de nouvelle façade, particulièrement imposante et en rupture totale avec l’alignement haussmannien de cette petite rue du 16e arrondissement. Mais sur ce point, les architectes ont reçu le feu vert des autorités municipales pour qui l’alignement ne doit plus être respecté dans la capitale ! La déconstruction de Paris n’est pas finie.

Une résistance difficile

Tout porte à croire que le projet de l’ULIF pourra être mené à son terme : rien dans la loi ne l’en empêche, son business plan est solide et, hormis Le Parisien, La Tribune de l’Art et Causeur, la presse nationale n’en parle pas – et encore moins la presse communautaire ! L’Association des journalistes du patrimoine s’est d’ailleurs plainte que l’accès à la synagogue lui était interdit. Soutenue par de nombreuses personnalités du monde politique et culturel, l’APPC est cependant isolée dans son combat, et certaines maladresses ne lui sont pas pardonnées « en interne », tel ce tract qui interroge : « Ce que deux attentats terroristes (1941 et 1980) n’ont pas réussi à faire, les responsables de la synagogue eux-mêmes le réaliseront-ils ? »

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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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