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La stratégie du cloporte


Il y a quelques années, ma fille qui était collégienne, me rapporta avec étonnement les recommandations que le personnel d’encadrement faisait aux élèves en cas d’agression. « Si l’on vous attaque, leur disait-on, jetez-vous par terre et roulez-vous en boule ! » Je reçus cette nouvelle avec la sérénité d’un rescapé du ghetto de Varsovie qui entend le dalaï-lama prêcher la non-violence et l’inertie face à l’oppression, mais je sus me contenir. La règle numéro 1 en matière d’éducation (ne jamais contredire le professeur) s’imposa, mais mon silence n’eut pas les effets attendus. La stratégie du cloporte ne fut pas retenue par ma progéniture, car je fus convoqué un peu plus tard au collège pour un problème de bagarre ou, si je veux être honnête, de bagarres.
La directrice me glissa les coordonnées d’une psychologue dans le tête-à-tête de son bureau et, soucieux de collaborer à la démarche éducative qui mettrait ma fille au diapason du vivre-ensemble, je l’emmenai suivre quelques séances à l’issue desquelles on conclut que le problème venait d’ailleurs. Je renonçai donc au recours des spécialistes pour tenter d’amadouer ce farouche esprit de résistance qui, jusqu’à aujourd’hui, me donne envie de me jeter par la fenêtre quand il m’est opposé.[access capability= »lire_inedits »]

Il y a quelques jours, je suis tombé sur un fait divers relaté par le quotidien Nord Éclair et relayé par le site Fdesouche − qui n’est pas un compagnon de route idéologique, mais une précieuse agence de presse : un habitant d’une cité roubaisienne, excédé par le bruit des motos dans sa rue et devant l’impuissance avouée des policiers à faire cesser ces nuisances sonores, s’est défenestré. Un fonctionnaire de police-secours avait, semble-t-il, expliqué à son épouse que ses collègues n’avaient pas le droit de poursuivre un véhicule et encore moins une moto. Une version corroborée par un policier roubaisien qui tint à rester anonyme. « Lorsque nous recevons un appel pour du rodéo de deux-roues ou que nous constatons devant nous ce type d’infraction, nous n’intervenons plus, témoignait-il. La population doit bien comprendre que ces interventions sont à risques pour nous. Je ne parle pas de risques de dangerosité, mais judiciaires. » Il citait un exemple récent à Villiers-le-Bel : « Si une chute de deux-roues ou un accident met en cause un véhicule de police, une information judiciaire sera ouverte. Quels que soient les résultats de cette information, on recherchera toujours une cause de culpabilité pour les fonctionnaires. À quelle vitesse roulaient-ils ? Pourquoi se trouvaient-ils là ? Ont-ils délibérément essayé de contrôler le deux-roues ? Était-ce un refus d’obtempérer ? Pour les politiques et notre hiérarchie, le ratio faits divers impliquant les deux-roues est acceptable et de nombreuses notes de service nous rappellent régulièrement que les « chasses » sont interdites, engins volés ou non, continue-t-il. Dans ces conditions, le risque d’être soumis à la vindicte populaire, lâché de sa hiérarchie et du monde politique est avéré et, comme tout un chacun, les fonctionnaires de police ont aussi une famille qu’ils doivent faire vivre. Comprenez dès lors que, lorsque des personnes nous appellent, soit nous ne nous déplaçons pas, soit nous nous contentons de faire un passage afin de faire cesser le rodéo quelques minutes. Mais il est hors de question de procéder à un quelconque contrôle ou « pire ». »

L’homme est aujourd’hui à l’hôpital, mais sa tentative de suicide n’a pas provoqué d’indignation nationale. Il faut dire que le malheureux n’a pas tenté d’en finir sur son lieu de travail, broyé par les méthodes d’encadrement, le diktat du libéralisme et la méchanceté des petits chefs, mais sur son lieu de vie où les comportements de certains jeunes qui pourrissent la vie des gens ne sauraient être dénoncés ou contenus sans risque de stigmatisation ou d’émeutes.
Comment en vouloir à une police qui n’a pas vocation à être traînée devant les tribunaux pour avoir défendu les citoyens et fait respecter l’ordre ? Faut-il regretter que cet homme, au lieu d’attenter à ses jours ou avant de le faire, ne se soit emparé d’un fusil pour mettre fin d’un seul coup aux nuisances et aux nuisibles ? Il y a une trentaine d’année, les faits divers de ce type ne manquaient pas. Depuis, une entreprise de désarmement unilatérale a livré aux agissements de quelques voyous des territoires entiers aujourd’hui perdus. Comme ce monsieur, la plupart des gens honnêtes ne sont pas armés et ont renoncé à se défendre eux-mêmes. Dans son cas, on peut deviner que la peur de représailles directes sur sa famille ou le rejet, conscient ou pas, de passer aux yeux du monde et au journal télévisé pour le forcené forcément raciste qui tire sur la jeunesse, lui auront interdit de penser à emporter dans la mort la cause de son tourment.

Qui donc est responsable, à défaut d’être coupable, de ce drame ? Si la police reçoit de tels ordres, c’est que les politiques tremblent de trouille devant la capacité de nuisance du braillomètre sur leurs carrières en cas de vagues. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui croient sincèrement que la politique sous Sarkozy fut sécuritaire et brutale. À l’abri de cet enfumage, la racaille arrogante et impunie nique la France et, quand Marianne, Libération, Le Nouvel Obs ou Le Monde célèbrent une victoire contre les dérives autoritaires et fascisantes de la droitisation buissonnière, dans un silence quasi-général, des Français excédés et impuissants se jettent par les fenêtres. La stratégie du cloporte gagne les esprits et elle les emporte.[/access]

*Photo : wikimedia.

Juillet-août 2012 . N°49 50

Article extrait du Magazine Causeur



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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