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«La Salle des profs», milieu scolaire orthonormé et franchement hostile

Panique au Gymnasium


«La Salle des profs», milieu scolaire orthonormé et franchement hostile
Carla Nowak dans "La Salle des Profs" (Das Lehrerzimmer) de İlker Çatak, 2023 © Tandem Films

Le film d’İlker Çatak, qui fait un tabac en Allemagne et vient de sortir en France avec d’excellentes critiques, ne pouvait pas ne pas interpeller notre chroniqueur, à qui rien de ce qui est turpitude scolaire n’est étranger. Apparemment il n’a pas été déçu. Mais de là à en faire un favori pour l’Oscar du meilleur film étranger, il y a une marge, dit-il.


La Salle des profs est un film profondément allemand — ce qu’on ne lui reprochera pas. Personnages korrekt des pieds à la tête, locaux immaculés, haine larvée des étrangers (pas seulement des immigrés turcs de plus ou moins longue date : on ne manque pas de faire remarquer à l’héroïne, originaire de Gdansk / Dantzig, qu’une Polonaise, en Allemagne, ne sera jamais allemande), et tendance à l’inquisition qui peut aller assez loin. Les invectives volent bas parfois dans ce décor si bien peigné : on se traite de fasciste « à peine qu’on se traite », comme disait Nougaro, mais avec des arrière-pensées évidentes de camps de concentration.

Passe ton Abitur d’abord

Carla Nowak, prof de maths et d’EPS (la bivalence est la règle en Allemagne) d’un Gymnasium (l’équivalent de nos lycées, la seule structure pédagogique qui débouche sur l’Abitur, le Bac allemand), a des méthodes d’un pédagogisme qui peut paraître ici excessif : les élèves obéissent au claquement des mains, ils sont dressés à obéir, et de toute façon l’établissement expérimente la « tolérance zéro » que l’on réclame de ce côté du Rhin.

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Mais voilà : on lui a piqué de l’argent dans son portefeuille, en salle des profs. Elle dispose alors son ordinateur en fonction caméra pour filmer la personne qui a l’indélicatesse de se servir dans la poche de son blouson.


À partir de là l’inquisition se met en place, une secrétaire est désignée (sans qu’on ait vu autre chose à l’image qu’un bout de son chemisier), la prof se retrouve accusée d’espionnage (on sent que le souvenir de la Stasi n’est pas loin, chacun fait avec son histoire), les élèves s’insurgent… Et au terme d’une narration en spirale descendante, les enfers personnels de chacun se retrouvent sur la table.

À travers la métaphore d’une salle des profs ordinaire, c’est évidemment toute la société allemande qui se retrouve sous les projecteurs. Non seulement l’histoire récente de la réunification, l’immigration turque (les petites filles ont le droit de venir au lycée avec la tête couverte d’un voile, les parents parlent un allemand rugueux), les souvenirs de la Seconde guerre mondiale, et au-delà, cette correction politique et morale héritée du luthérianisme. On comprend que le film ait collectionné les récompenses outre-Rhin.

Allez voir « La Zone d’intérêt » avant quand même

Ici, c’est moins évident — nous avons une autre histoire, nos immigrés ne sont pas les mêmes et ne jouent guère la carte de l’intégration, et la tolérance zéro est une espérance plus qu’une réalité. Cela dit, on pique dans nos salles des profs comme dans celles d’Allemagne. Peut-être sommes-nous moins flics dans l’âme, mais les tensions entre enseignants, rapidement palpables quand on fréquente un établissement français, sont les mêmes.

On s’étonnera de l’obéissance des élèves (jusqu’à un certain point), mais c’est parce que le système allemand post-primaire évacue précocement les élèves en difficulté vers Hauptschule et Realschule, collèges alternatifs qui ne destinent pas leurs élèves à l’Abitur : la sélection s’opère très tôt en Allemagne, et vous êtes orienté vers l’enseignement technique et professionnel de façon précoce.

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C’est fort bien interprété. Leonie Benesch joue à fond la pédagogue célibataire, dévouée à ses élèves et sûre de sa moralité exemplaire. Ses collègues sont à l’unisson, les gosses sont parfaitement dirigés. Mais en définitive, c’est un téléfilm soigné (c’est cadré pour passer un jour à la télé) et politiquement correct. Pas exactement ce que l’on peut attendre d’un film que l’on présente pourtant aujourd’hui comme l’un des favoris à l’Oscar du meilleur film étranger, dimanche soir (encore que La Zone d’intérêt soit un candidat autrement redoutable).

Quant à la structure en crescendo, elle est empruntée à ce film danois autrement remarquable qu’était La Chasse (2012), de Thomas Vinterberg, où un instituteur (Mads Mikkelsen) était accusé (à tort) d’attouchements par une petite fille, et pourchassé par toute une communauté : l’ombre du M le Maudit de Fritz Lang passait sur ce thriller dérangeant. Mais l’un dans l’autre, La Salle des profs fait passer deux heures qui séduiront les enseignants qui baignent dans ces nœuds de vipères, et renseigneront les autres sur ce qui se passe dans ce lieu clos par excellence qu’est une salle des profs.




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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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