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La Sainte Famille au secours du mariage gay


Le Monde publie une tribune[1. « Le mariage homosexuel libère l’Eglise », Thierry Jaillet, 5 juin 2012.] en faveur du mariage des personnes homosexuelles, comme il est de coutume dans ses pages : la nouveauté tient à ce que le texte serait issu de la plume d’un essayiste catholique, Thierry Jaillet. Je ne sais qui est Thierry Jaillet, je ne sais même pas s’il existe. Internet, en l’occurrence, me renseigne sur un seul point : un Évangile de Michel Onfray a été publié sous ce patronyme il y a un an, aux éditions Golias, ce qui ne surprendra aucun catholique. Ce qui surprend le catholique, en revanche, c’est qu’un média comme Le Monde puisse continuer de considérer la production générale de Golias comme catholique − alors que Golias, comme revue et comme éditeur, est constamment vent debout face à la doctrine catholique[2. Après avoir longtemps publié Thierry Meyssan, conspirationniste notoire du 11-Septembre, Golias a fait paraître, en janvier, un livre conjointement dirigé par Paul Ariès et René Balme, le maire PCF de Grigny, proche de Dieudonné et de certains autres négationnistes.].[access capability= »lire_inedits »]

Thierry Jaillet, s’il existe, est peut-être catholique parce qu’il fut baptisé, comme la majorité des Français : il faudrait cependant qu’il nous dise en quoi il adhère volontairement à cette foi, car cela ne saute pas aux yeux. Cependant, je n’ai pas pour ma part vocation à séparer le bon grain de l’ivraie, aussi partirai-je du principe qu’il est bien catholique comme il le prétend. Et alors, je le plains de s’agréger à quelque chose que son esprit nie du début à la fin.

Au début de son argumentation, M. Jaillet semble se réjouir du fait que 2,8 millions d’enfants, en France, vivent dans une famille monoparentale, et il l’avance comme une preuve capitale en faveur de l’absence de père. Il nous semble au contraire que les dégâts intimes et sociaux causés par ce manque ont été assez démontrés, ces trente dernières années, par tous les psychologues, psychiatres et psychanalystes du monde, pour que nul ne puisse tirer aucune gloire de cet état de fait. En ce sens-là, l’Église catholique, comme la majorité des sociétés du monde jusqu’à la nôtre, avait déjà parfaitement raison de refuser l’institutionnalisation du divorce − qui n’est jamais que le droit donné au père de s’en aller. La liberté individualiste du moderne aura coûté assez cher à son entourage et à la société pour que l’on ne réclame pas davantage son expression, qui est celle de la lâcheté.
M. Jaillet annonce aussi, sans rien démontrer, que le mariage de deux personnes du même sexe serait une question de justice. Que l’on sache, la législation actuelle n’interdit à aucun adulte, quelles que soient ses pratiques sexuelles, de convoler avec une personne de l’autre sexe. Où est l’injustice, alors ? Dans le droit ?

L’auteur ne craint pas, par ailleurs, de se contredire en réclamant que l’Église catholique cesse de s’occuper de nos histoires de cul − ce qui est une haute idée du mariage, notons-le − tout en se réjouissant qu’au Moyen Âge, elle en ait fait un instrument de libération de la femme et des enfants. Il donne précisément ici, contre son propre raisonnement, une définition de la mission sociale de l’Église à travers les siècles, mission qu’il voudrait aujourd’hui ramener à une seule technique spirituelle. On a sans doute ici une illustration de sa vision solipsiste du catholicisme − qui est bien plutôt un catharisme.

Il donne ensuite dans le ridicule le plus certain quand il tente de s’appuyer sur le cas de la Sainte Famille pour démontrer que la filiation biologique aurait dû perdre toute importance aux yeux du chrétien. Il ignore qu’aux yeux du chrétien, Jésus, en tant que totalement homme et totalement Dieu, n’est pas réputé disposer d’une filiation normale, que Joseph n’a jamais été appelé simplement son père, mais son père putatif − c’est-à-dire remplaçant ici-bas − et qu’enfin donner maintenant cet exemple, c’est précisément conférer à tout être humain le sentiment qu’il pourrait se comporter comme Dieu, c’est-à-dire rompre à son gré la voie naturelle et culturelle de la filiation et de la famille en général.

L’homme est un être de culture, et ce n’est certes pas le christianisme qui le niera, mais la grandeur d’une culture se juge précisément à ce qu’elle mène l’homme au plus près de ses fins. Il n’a jamais été prouvé que l’indifférenciation concourrait au bonheur humain. Les faibles et les petits ne gagnent jamais à la confusion qui fait la seule joie du dominant.

M. Jaillet est sans nul doute de ces contemporains persuadés que l’humain n’est doué d’aucune finalité, ce qui les plonge dans une aporie fondamentale. Liberté, que de crimes on va continuer de commettre en ton nom, si l’on écoute les Jaillet ! Car, aussitôt après avoir insinué que le choix du mariage et de la « parentalité » ne ressortissait que du désir de chacun, l’auteur plonge dans une vision proto-totalitaire qui fait de la société en général − sans qu’elle soit d’ailleurs jamais définie en tant que telle − la mère, le père, l’institutrice, la gouvernante et l’adjudant-chef de tous les enfants. Amère utopie de la communauté en tant que Léviathan dont deux siècles seulement nous ont prouvé l’horreur.

C’est-à-dire que la réflexion de M. Jaillet parvient à ce tour de force, qui n’étonnera que l’habitant de Sirius, de répudier du même mouvement le caractère social du mariage et la possibilité de l’éducation familiale du petit d’homme que gouverne le plus souvent l’affection la plus intense qui soit. Ainsi, l’enfant ne sera plus, dans le monde à la Jaillet, qu’un bien, une marchandise, un matériau aux mains de couples revendicatifs et de la société. Bienvenue en enfer.[/access]

*Photo : bilericoproject

Juin 2012 . N°48

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste et essayiste.

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