Accueil Économie La réunion ministérielle de Séville, ou comment repeindre le sabordage de la politique spatiale européenne aux couleurs du succès…

La réunion ministérielle de Séville, ou comment repeindre le sabordage de la politique spatiale européenne aux couleurs du succès…

Une tribune libre d’André Rougé (RN), député européen


La réunion ministérielle de Séville, ou comment repeindre le sabordage de la politique spatiale européenne aux couleurs du succès…
Ariane 5, Kourou, Guyane française 2016 © Stephane Corvaja/ESA/SIPA

À l’issue de la réunion de Séville des 6 et 7 novembre, la France renonce à son monopole et accepte qu’il y ait des concurrents à Ariane Espace


La réunion ministérielle organisée à Séville les 6 et 7 novembre pour décider du sort de la politique spatiale européenne portait bien mal son nom ! Ni Bruno Le Maire ni Sylvie Retailleau n’ont daigné y assister, ayant délégué pour cette tâche qui nécessitait un engagement majeur de la France le seul président du CNES. Cette absence de l’échelon politique au moment de vérité illustre, mieux que tous les discours, le délitement d’une grande ambition.  

Ariane, 50 ans de succès

Qu’on s’en souvienne : issu d’un accord intergouvernemental qui ne doit rien à l’Union européenne, le programme européen Ariane, lancé en 1973 par Georges Pompidou, avait une feuille de route des plus claire. Il s’agissait de donner à la France et à l’Europe les moyens de mettre en orbite ses satellites sans dépendre des autres puissances spatiales. Le 24 décembre 1979, la fusée Ariane 1 effectuait ainsi son vol inaugural depuis le Centre de Kourou dont la localisation privilégiée à proximité de l’équateur assure une plus grande vitesse au lancement et offre à l’Europe un avantage comparatif considérable.  

Le chemin du succès était tracé. De 1986 à 1996, quatre versions d’Ariane ont été développées par ArianeGroup pour aboutir à la version Ariane 5 qui a conquis la moitié du marché mondial du lancement des satellites de télécommunications en orbite géostationnaire. Pendant cinquante ans, Ariane a été une formidable vitrine du savoir-faire français et européen. Grâce à elle, la France, les Européens et leurs clients du monde entier ont pu contourner « l’amicale pression » de Washington et procéder librement à la mise en orbite de satellites sans devoir s’adresser pour autant à Moscou ou à Pékin. Vecteur fondamental d’indépendance stratégique et politique, Ariane est devenue aussi un outil de construction d’un monde multipolaire.

Ces dix dernières années, la situation a considérablement évolué : après que François Hollande a fait le choix en 2014 de ne pas investir dans le réutilisable et l’amélioration d’Ariane 5, l’Europe a pris du retard, au point de se retrouver aujourd’hui sans Ariane 6 capable de lancer les satellites de la constellation Galileo. Or, c’est à Galileo que revient la mission d’assurer l’indépendance française et européenne vis-à-vis du système américain GPS dont le signal peut être dégradé, voire désactivé à tout moment par décision unilatérale des Etats-Unis. Sur ce sujet central, on attendait de la réunion ministérielle de Séville qu’elle tranche entre deux options : soit s’en remettre à l’américain Space X d’Elon Musk pour lancer quatre satellites sécurisés indispensables aux télécommunications des armées européennes, soit retarder durablement la mise en œuvre de Galileo jusqu’à ce qu’Ariane 6 soit prête, possiblement à partir du printemps 2024. Par un curieux retournement de l’histoire, c’est Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, qui a officialisé le choix de recourir pour 180 millions d’euros aux services d’Elon Musk et de Space X pour le lancement de quatre satellites du système Galileo. À ce stade de l’échec européen, une ambiguïté, et non des moindres, demeure encore à lever : le choix américain étant fait et assumé, son caractère transitoire jusqu’à l’opérationnalisation d’Ariane 6 a-t-il au moins été entériné ?

Un accord de dupes au détriment des Français ?

Derrière les rideaux de fumée de l’autosatisfaction, les résultats de Séville ne manquent pas en réalité d’interroger. Qu’en est-il de la pérennité de la préférence européenne incarnée depuis 1973 par Ariane et plus largement de la pérennité de l’aventure spatiale européenne en tant que telle ? L’accord du 7 novembre confirme bien le principe d’une nouvelle tranche de financement public pour Ariane 6, jusqu’à 340 millions d’euros annuels et ce jusqu’au 42ème tir prévu en 2029. Cependant, la moitié de ce coût sera supportée par la France, alors même que les incertitudes techniques continuent de planer sur l’opérationnalisation du porteur. En contrepartie de cette « victoire française », l’ouverture à la concurrence dès 2025 pour les petits lanceurs et à partir de 2028 pour le marché des gros lanceurs amène à poser clairement l’hypothèse, hélas vraisemblable, d’un accord de dupes. La France a donc été autorisée à s’acquitter de 125 millions d’euros par an pour un projet dont nul ne sait s’il parviendra à assurer dans les temps la feuille de route qui lui est assignée, obérant au passage ses capacités de financement sur le segment prometteur des petits lanceurs comme Maïa. Si ArianeGroup est sauvé à court terme, il se retrouve avec un horizon de quelques courtes années, incapable de se passer de financement public et sans perspective quant à sa sortie du tunnel. L’ouverture à la concurrence rendra automatiquement caduque la direction des lanceurs du CNES et son équivalent de l’ESA, au bénéfice des intérêts allemands et italiens. Quant à la possibilité d’accroître le niveau pourtant fort limité de retombées économiques et industrielles du spatial pour la Guyane, région ultrapériphérique de l’Union européenne, cette question n’a pas fait l’objet de la moindre décision. Le reste, comme le chantait Dalida, n’est que paroles… Ainsi, la mise sous les projecteurs d’un projet de vaisseau de transport spatial nécessite des moyens qui font aujourd’hui défaut et qui renvoient cette conclusion de Séville à un Happy End irénique permettant au vaincu d’arborer un sourire de commande.  

En vérité, payant le prix fort de ses choix erronés d’une décennie avec une dépendance cruelle à l’égard de l’Amérique en matière de lanceurs lourds, aveuglée par l’incantation d’un « couple franco-allemand » qui n’existe que dans ses rêves, comme la rupture brutale par Angela Merkel de l’accord spatial de Schwerin en a administré la preuve en 2017, aimantée par la conviction que le marché constitue la planche de salut de la politique spatiale et la voie naturelle de consolidation de la Startup nation, la France d’Emmanuel Macron aura signé sous le soleil andalou l’acte de décès programmé d’une ambition nationale et continentale. « Rien n’est plus vivant qu’un souvenir » écrivait déjà Federico Garcia Lorca…



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Député européen depuis 2019

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