Obstruction, amateurisme, fatigue, dégoût aussi : tel est le quotidien de l’Assemblée nationale. Et puis, de temps en temps, une petite victoire qui donne envie de repartir à l’assaut et de changer le monde. Finalement, c’est à ça que devrait servir la politique…
La République qui perd
28 février 2024, nouvelle onde de choc : le proviseur du lycée Maurice-Ravel (Paris) demande à trois élèves de retirer leur voile dans l’enceinte de son établissement. L’une d’elles refuse, provoquant une altercation. S’ensuivent des menaces de mort proférées à l’encontre du proviseur. Un triste et inquiétant goût de « déjà-vu ». Quelques jours plus tard, le proviseur quitte ses fonctions, « pour des raisons de sécurité » selon son entourage. Pour « convenances personnelles » selon le rectorat. Un terrible échec doublé d’un aveu d’impuissance…
Le 5 avril suivant, je suis invitée à fêter les dix ans du lycée Marc-Bloch à Sérignan, un village de ma circonscription à quelques kilomètres de Béziers. Les discours se suivent, mais peu abordent ce « djihadisme d’atmosphère » qui a causé le retrait du proviseur parisien. Tout juste si le nom de Samuel Paty est évoqué… Pourtant, quelques mois plus tôt, quelques jours après l’assassinat de Dominique Bernard, un professeur du lycée Marc-Bloch avait lui aussi été menacé de mort par un de ses élèves. Qui avait ensuite osé parler de « plaisanterie ». Drôle de plaisanterie, vous l’avouerez !
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Je ne peux m’empêcher de le rappeler, quitte à jouer les rabat-joie en ce jour d’anniversaire : « Nous vivons aujourd’hui dans un pays où Samuel Paty a été décapité pour avoir montré des caricatures du prophète Mahomet à ses élèves. Nous vivons dans un pays où Dominique Bernard a été égorgé pour avoir tenté de protéger ses élèves. Nous vivons dans un pays où un proviseur a dû se mettre en retrait après des menaces de mort parce qu’il avait simplement, uniquement demandé à une élève de respecter la loi. Et malheureusement, chaque fois, c’est la République qui a perdu. » Certains, gênés, regardent ailleurs…
Amateurisme
Mardi 2 avril, Gérald Darmanin annonce sur X : « Tôt ce matin, trois nouvelles opérations antidrogue “Place nette XXL” ont été lancées à Toulouse, Strasbourg et Nantes : des dizaines d’interpellations judiciaires seront effectuées. Notre détermination à lutter contre la drogue, ses réseaux et son argent sale est totale, loin des discours défaitistes. » Petit hic ou grosse bourde, l’opération de Strasbourg n’est prévue que pour… le lendemain ! Le syndicat Unité SGP Police évoque un gros couac : « Annoncer une opération avant qu’elle ait commencé sur Strasbourg inquiète les collègues, car ils seront attendus lors de leurs opérations à venir »… Heureusement, les dealers ne semblent pas fréquenter les mêmes réseaux sociaux que le ministère de l’Intérieur qui a pu annoncer dès le lendemain que « les six interpellations prévues ce matin [mercredi] ont bien eu lieu. L’opération n’a été en rien perturbée par l’annonce du ministre. » Emmanuel Macron disait à ses députés : « Soyez fiers d’être des amateurs ! » Il a visiblement été entendu.
Prison
Mardi 2 avril, mon tour est venu de poser une question au gouvernement. L’exercice n’est pas toujours facile. Il faut savoir « doser » son attaque. Si vous êtes trop agressif envers le ministre que vous interrogez, vous avez peu de chance d’obtenir une réponse et encore moins gain de cause. D’un autre côté, les questions « cire-pompes » des députés de la majorité sont des plus agaçantes…
Ce jour-là, ma question s’adresse à Éric Dupond-Moretti, le garde des Sceaux. Cela fait deux ans que j’essaie d’obtenir, pour la prison de Béziers, un système de brouillage antidrones. En effet, le quotidien des agents pénitentiaires comme celui de nos polices – municipale et nationale – est pollué par les trafics incessants de colis livrés chaque jour par drone au-dessus des murs du centre pénitentiaire. Pour le seul mois de septembre 2023, près d’une trentaine de colis ont été récupérés, dont un contenait plus de 100 grammes de cocaïne. Plus de 700 grammes de cannabis ont également été saisis, ainsi que de nombreux téléphones, cigarettes, victuailles et même un couteau en céramique. Les quantités non interceptées seraient en réalité entre deux et quatre fois plus importantes, si l’on en croit les gardiens.
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La réponse du ministre est positive ! Eurêka ! Il m’annonce que la visite technique d’implantation du système de brouillage est fixée au 30 avril 2024. Ce sont des victoires comme celles-là qui vous réconcilient avec la politique. Et on en a besoin.
Obstruction
Ce jeudi 4 avril 2024, c’est le jour de la « niche » écologiste. Pour mémoire, une « niche » parlementaire est une journée réservée aux groupes minoritaires ou d’opposition pour défendre leurs propositions de loi à l’Assemblée. La niche commence le matin à 9 heures et s’achève obligatoirement à minuit. Ce jour-là, deux textes sont adoptés : le premier sur les risques liés aux polluants éternels et le second sur les prix planchers pour les agriculteurs. L’examen du troisième texte peut commencer : une proposition de loi « pour un article 49 respectueux de la représentation nationale ». L’idée pour les écologistes est tout simplement de supprimer le désormais célèbre article 49.3… On ne saura malheureusement jamais ce que les uns et les autres pensent de cette réforme, le garde des Sceaux ayant monopolisé le temps restant en parlant plus de trente minutes à la tribune. Provoquant du même coup l’ire du couple Corbière-Garrido. Quelques noms d’oiseaux ont volé… Il n’y a pas que les parlementaires qui peuvent faire de l’obstruction !
Non-inscrits
Et de sept ! Il ne l’a pas ébruité, mais je m’en doutais… Julien Bayou (écologiste) vient de rejoindre le cercle très restreint des députés non-inscrits. Nous avions démarré le mandat à quatre mais, peu à peu, pour des raisons plus ou moins honorables, d’autres nous ont rejoints. Et découvrent le prix de la liberté. Celle des non-encartés, qui demande plus d’assiduité, plus de travail, plus de responsabilités aussi, puisque nous votons selon notre conscience et nos convictions, et non comme le président d’un groupe pourrait nous l’intimer. Pas sûr que cela mette Julien Bayou à l’abri des foudres de ses ex-collègues, lui qui a démissionné à la fois de son parti et de son groupe parlementaire. Il se dit « épuisé », « à bout » et dénonce « une pression psychologique insoutenable », lui qui est accusé de « violences psychologiques » par son ex-compagne. Une justice parallèle interne chez les écolos qui fait froid dans le dos…