Voici les ouvrages – tout à fait dispensables – que les lectrices s’arrachent cet automne
Beauvoir, Duras et Yourcenar m’ont construite. Née femme je leur dois d’être devenue une femme éprise de littérature, et surtout, de l’être restée. Je leur dois de m’avoir fait découvrir la Littérature éternelle, celle qui rend libre et se rit des assignations de genre, de classe ou de race ; cette littérature qu’on perd de vue, en cette époque de jérémiade généralisée où l’on n’écrit plus que pour glorifier la victime et témoigner – de préférence en étalant ses turpitudes – sur la place publique. J’ai aimé mes Marguerite parce qu’elles étaient des hommes comme les autres, des écrivains au même titre que Sartre, Montherlant, Flaubert, Gide ou Madame de La Fayette. J’ai retenu cette parole de l’une (Marguerite Duras), grande amoureuse : « Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup les aimer pour les aimer » et fait ma devise des mots écrits par l’autre, lus dans Les Yeux ouverts : « Ne comptez pas sur moi pour faire du particularisme de sexe. Je crois qu’une bonne femme vaut un homme bon ; qu’une femme intelligente vaut un homme intelligent. C’est une vérité simple. »
Ère lacrymale et victimaire
Des hommes et des femmes écrivaient, autrefois, avant la charge mentale, l’oppression patriarcale et la prédation, avant la misogynie banalisée et généralisée, avant la dysphorie de genre et la découverte des déterminismes sociaux. On écrivait et, bien. Mais ça, ça c’était avant qu’on entre en ère lacrymale et victimaire, avant que les néo-féministes, qui se foutent pas mal du talent, ne fassent main basse sur la littérature en exigeant que des écrivaines et autres auteresses sans plume soient reconnues. On a imposé aux lettres un quota de féminitude en même temps qu’on a évincé l’épopée. L’autofiction triomphe, obscène, et on pose ses tripes sur une table à laquelle on n’a pas été invité. La femme, qui s’est auto-proclamée mineure, est sommée d’étaler son moi vide et pourtant enflé comme un foie gras. Moi : maman, mariée, maîtresse, abusée. Moi : exploitée, moquée, dévalorisée… Moi : transfuge de sexe, de race ou de classe. Moi : toujours recommencé.e, femme, résiliente, forte et résolue à changer le monde.
Sixième roman pour Emma Becker
Bienvenue à gnangnanland : petite sélection de la rentrée littéraire, à lire, ou pas… Emma Becker nous donne son sixième roman Le Mal joli. L’auteresse continue, d’après franceinfo, à « bâtir une œuvre dans laquelle sexe, autofiction et littérature font ménage à trois. » Voici le pitch du roman : en trois saisons, du printemps à l’automne, on suit les aventures amoureuses, charnelles et passionnelles d’Emma, mariée, mère de famille et écrivaine, avec Antonin en couple et écrivain… lui aussi. Pour les amateurs de potins, on a reconnu en Antonin Nicolas d’Estienne d’Orves, auteur un brin réac. L’écrivaine adultère, affolée de désir, n’a peur de rien, elle baise, déserte le foyer, mais… continue, hélas, à écrire. « Votre petit hôtel borgne ne me fait pas peur. Je l’ai déjà dit, et je n’ai pas peur de vous rebattre les oreilles, je vous baiserais sur un tas de fumier, dans les égouts. Alors si vous pensez que j’ai peur d’un hôtel Ibis… ! »
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La femme amoureuse a toutes les audaces, soyez-en bien sûrs messieurs. Las ! la femme amoureuse est aussi mère. Un jour, elle récupère son fils Isidore à l’école et lui demande ce qu’il aimerait faire plus tard. Réponse du gosse : « En tout cas, je ne serai jamais écrivain (…) parce que quand tu es écrivain, tu n’es jamais chez toi, tu n’as jamais le temps de t’occuper de tes enfants. » Déclic. La maman désirante et écrivaine comprend qu’elle ne peut pas mettre ses « enfants en pause » pour vivre sa passion. Le texte se veut du Duras mâtiné d’Ernaux, mais, ça fait pschiit et on attend toujours le second effet kiss cool. L’Amant et Passion simple, tu repasseras, muscade !
Maylis de Kerangal : chic, une enquête « intérieure » !
Fortune de mer, ensuite. Appareillons pour le Havre avec Maylis de Kerangal qui surfe, elle aussi, sur le (la) vague ; la marée n’est pas encore tout à fait basse, que diable ! Voici Jour de ressac. Le corps d’un homme a été retrouvé au Havre ; on l’annonce à la narratrice. Dans la poche du mort, un ticket de métro. Au dos du ticket, griffonné, le numéro de téléphone de l’héroïne, 49 ans, doubleuse de métier, vie parisienne avec mari et enfant (très important). On est alors télétransporté au Havre, ville dans laquelle la narratrice, tout comme l’autrice « a poussé comme une herbe folle. » Ça va déferler, bordel ! (Pas du tout, en fait.) « L’autrice nous propose une enquête au rythme des pas de la narratrice, une investigation aux allures de déambulation. » (franceinfo) Que ceux qui auraient imaginé un roman noir se rassurent, c’est bien un roman « de l’intime », celui d’une femme. « Une enquête intérieure qui questionne le passé, les brisures. » (franceinfo) Ce roman « conjugue magnifiquement l’intimité d’une femme cabossée par un chagrin d’amour et l’impersonnelle violence de l’enquête à laquelle elle est mêlée », précise Livres Hebdo. Maylis de Kerangaldonne à voir « les douleurs anciennes, les marques qu’elles laissent et celles dont on fait le choix de s’épargner » (franceinfo). Dis-moi comment tu te préserves, je te dirai quelle femme (résiliente) tu es. La vie et la nostalgie ne sont définitivement plus ce qu’elles étaient : « Au loin, le phare projetait son désœuvrement sur l’avant-port, fou et solitaire, résigné à attendre le soir pour émettre sa signature lumineuse : un éclat rouge toutes les cinq secondes (…) Le battement cardiaque de la nuit portuaire. » De battre mon cœur s’est arrêté. Je ne crois pas que les vivants seront réparés par le nouvel opus de Madame de Kerangal.
Nouveaux départs ?
En bonne pêcheuse de perles, j’ai aussi repéré pour vous Dors ton sommeil de brute, commis par Carole Martinez qui n’en est pas à son coup d’essai. C’est encore le magazine ELLE qui en parle le mieux : « Si Éva fuit Paris, c’est pour mieux sauver son enfant. Son mari, Pierre, ne retient plus ses coups envers Lucie (sur ! bordel !), leur petite fille. Il faut s’installer là où personne ne pourra les retrouver. Eva trouve une maison de gardian, entourée de marais, survolée d’oiseaux migrateurs et surveillée par Serge, un doux géant. La sensation d’être en sécurité est de courte durée. En pleine nuit, Lucie crie. Des hurlements longs, glaçants, annonciateurs de la suite des évènements. » On n’a pas voulu la connaître, la suite.
Pour que vous sachiez bien quoi ne pas lire, j’évoquerai enfin La meilleure part d’eux-mêmes d’Avril Ventura. Il y est question de Marie qui, selon ELLE, toujours, « a bazardé sa vie d’avant, coupé les ponts avec tous et surtout avec Paul, le père de l’enfant qu’elle vient de quitter sans lui dire qu’elle était enceinte (…) » On l’avoue, on n’a pas lu ce deuxième roman d’Avril Ventura, productrice à France Culture et qui collabore régulièrement aux pages littéraires de ELLE et du Monde. Pourtant, on en a bien saisi l’esprit.
Force est de le reconnaître, personne ne nuit plus à la littérature que les autrices à messages, les plumitives de l’intime et les chantres de la féminitude intoxiquées par les vapeurs néo-féministes si ce n’est leurs critiques thuriféraires au verbe aussi filandreux et collant que de la barbe à papa ; c’est dit.