Un remaniement, pour quoi faire ? Après quatre années de présidence Sarkozy-Fillon, nous avons la réponse : ça ne sert à rien. Ou plutôt ça sert à faire plaisir aux uns, éventuellement bloquer les autres et calmer les troisièmes. La politique ? N’y pensez pas. Le remplacement de la « grande dame » au ministère de l’Economie et des Finances a dégénéré en psychodrame entre ex-jeunes chiraquiens qui s’y voient déjà (en 2017) pour se terminer par la nomination de cinq nouveaux ministres, dont à part sans doute David Douillet, personne n’avait jamais entendu parler – à moins d’user, comme moi, sa jeunesse à l’Assemblée nationale.
Le psychodrame d’abord. Etrange, que les péripéties de la guerre entre François Baroin, ex-ministre du Budget promu à l’Economie et Bruno le Maire, resté à l’agriculture, qui faisait des pieds et des mains pour avoir Bercy aient fuité dans la presse. Etrange parce que ce genre de guéguerre est généralement raconté des années plus tard, dans une somme sur les dessous de la présidence où l’auteur confesse des ennemis de 20 ans, sur des faits qui se sont déroulés justement il y a 20 ans. Là, pas besoin d’attendre les mémoires de Michèle Cotta pour savoir que Baroin et Le Maire sont fâchés pour de bon, et qu’ils ont exercé un véritable chantage, un cran au-dessus du lobbying de base. Le Maire, qui fut directeur de cabinet de Dominique de Villepin époque CPE, s’est repeint en sarkozyste bon teint depuis un moment, et se voyait déjà gérer l’économie française. Ne lui avait-on pas promis un avenir de Premier ministre en novembre dernier…
Le matin, Le Maire avait le poste. Le mardi après-midi, c’est donc un autre chiraquien rallié avec fracas à Sarkozy qui récupère le job, après avoir fait jouer tous ses soutiens et menacé de claquer la porte. En arbitre entre les deux Rastignacounets, Valérie Pécresse, autre chiraquienne ralliée, qu’on voyait bien à la place de Lagarde. Elle aurait pu emporter le pompon à la faveur de la règle du plus petit dénominateur commun, sans compter qu’une femme pour une femme, ça aurait ravi les indignées genre Caroline de Haas ou Laurence Parisot. Mais, contrairement à ce que prétend l’intéressée, le Président de la République ne peut pas encadrer Pécresse, ça la fout mal dans son CV…
Bref, aucune facette du psychodrame ne nous a été épargnée y compris son happy-end intégral: naturlich, tout le monde est content de son poste, promotion ou mutation comprise et compte continuer à travailler pour la France. La palme de la faux-culterie revenant à Bruno le Maire, qui mardi soir, alors que tout le monde savait qu’il était hors de lui, affirmait sur son compte Facebook, sa joie de « rester le ministre des agriculteurs et des pêcheurs » qui peuvent « compter sur lui ». Jusqu’à ce qu’il soit nommé ailleurs sans doute. Etrange toujours cette absence de secret sur les nominations, les guerres intestines, les ambitions personnelles. Comme si Sarkozy ne maîtrisait rien. À moins qu’il ne cherche à abîmer ses propres ministres, meilleur moyen pour lui de les dominer et de les rendre inaptes à contester son autorité pour 2012 ? Pour 2017, disons qu’il doit s’en moquer. Après tout, que Le Maire et Baroin, qui s’y voient déjà, commencent dès maintenant à se détester au vu et au su de tout le monde…
Nous voici donc avec une « droite de gouvernement » qui claque les portes, menace de démissionner et semble prête à tout pour obtenir un plus gros pompon pour les quelques mois qui restent. Mais pas uniquement. À côté de ces fauves d’opérette, de nouveaux venus arrivent à des postes dont il conviendra de mesurer l’importance stratégique dans quelques années. David Douillet hérite des « Français de l’étranger », job qui consistera sans doute à choyer ces citoyens qui vont désigner bientôt de nouveaux députés à l’Assemblée nationale, lesquels devraient être majoritairement UMP, c’est sans doute une coïncidence. Puis vient une palanquée de traitres : les néo-centristes Jean Léonetti et François Sauvadet dont les nominations ont pour seul but d’emmerder Borloo et contrecarrer ses velléités d’indépendance présidentielle ; des amis de Jean-Pierre Raffarin, comme l’illustre Marc Laffineur, jusqu’ici vice-président du groupe UMP à l’Assemblée qui hérite des anciens combattants ainsi que la mère de famille nombreuse Claude Greff, qui devient secrétaire d’Etat à la Famille : osons le féminisme ! Thierry Mariani, sarkozyste déçu plusieurs fois, est enfin récompensé de son action à la tête de la Droite Populaire, puisqu’il monte en grade : de secrétaire d’Etat aux transports, il devient ministre, ça, coco, c’est de la breaking news !
Et la politique me direz-vous ? Qui s’en soucie ? Qui se soucie de ministres qui n’ont aucune marge de manœuvre ? Qui se soucie du gouvernement alors que tous les projecteurs sont déjà braqués sur la présidentielle ? Pour le président, le Conseil des ministres est devenu une banale variable d’ajustement électorale. Quant au Premier ministre, il semble avoir mieux à faire que la tambouille gouvernementale, d’autant qu’il est désormais indéboulonnable pour onze mois. Après tout pourquoi se priver de faire entrer de nouvelles têtes, et offrir aux braves gens d’Amboise, de Segré ou de Semur-en-Auxois le bonheur simple de voir leur élu local devenir ministre ? De plus, pour nous autres journalistes, ces nominations hasardeuses sont peut-être autant de futures occasions de rigolades. À droite, certains affirment que Nicolas Sarkozy est un génie politique mais un DRH nul. À voir le casting d’hier, on a du mal à leur donner tort.
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