Etait-il bien prudent d’inviter Eric Zemmour à un débat télévisé sur le thème « Demain, tous métis ? » Cette expérience baroque a été tentée jeudi 13 novembre sur Arte. Seul face à une assemblée de militants antiracistes et autres intellectuels à bonne conscience, l’éditorialiste du Figaro a cédé à la douce joie de la provocation, lâchant, au détour d’un échange avec la militante associative Rokhaya Diallo : « J’ai le sentiment qu’à la sacralisation des races de la période nazie a succédé la négation des races… » et, pire encore, « J’appartiens à la race blanche, vous appartenez à la race noire ! » Ce fut un coup de tonnerre dans le ciel serein d’un débat mou du genou, que peinaient à secouer les banalités de Vincent Cespedes et des fulgurances comiques de la comédienne allemande d’origine turque Renan Demirkan qui défendait le concept étourdissant de « nation cocktail »…
Cette utilisation provocatrice (et contestable) du mot « race » par Zemmour a immédiatement mis en branle la machine associative à s’indigner. Dans un communiqué publié le 17 novembre, l’association SOS-Racisme s’est dite « scandalisée » par cette « réhabilitation de la théorie des races ». Zemmour en Gobineau ou en Rosenberg, cela devrait faire sourire. Patrick Lozès, patron du CRAN a surenchéri, dénonçant sur son « blog de la diversité » des arguments « choquants » qui lui ont « glacé le sang ». L’association des Indivisibles – qui me feraient regretter les Indigènes de la République – précise dans un communiqué : « Rokhaya Diallo a fait un important effort personnel pour rester courtoise », et n’est pas tombée dans le « piège » tendu par un Zemmour tenant des propos « nauséabonds ».
On notera aussi un petit billet indigné du chroniqueur d’Europe 1 Bruno Roger-Petit qui réclame sur son blog du Post des sanctions contre Zemmour « people journaliste de la télé », qui bénéficierait d’une « grasse rémunération » et d’un occulte réseau de protections : « Est-ce que le réseau d’amitiés médiatiques, qui le propulse sur France 2, i-télé, France 5, Arte etc… va lui permettre d’échapper à son châtiment ? » Passons charitablement sur le fantasme de cet invisible « réseau » qui protège, mais amusons-nous de l’utilisation très premier degré du terme « châtiment » par Roger-Petit. Un châtiment, c’est plus grave qu’une mise à pied, une privation d’antenne, une soirée au piquet, une fessée – un châtiment c’est la correction magistrale, exemplaire qui vient après le crime. BRP termine son petit réquisitoire en appelant la « justice du système médiatique » à « frapper » l’infâme Zemmour. Il faut se réjouir que la « justice du système médiatique » ne soit qu’un fantasme, assez terrifiant d’ailleurs, et que les propos de Zemmour soient encore autorisés par la législation française. Parce que, et nous allons y venir, ils ne sont évidemment pas racistes…
Mais pourquoi tant de haine suite à la défense par Zemmour de l’existence de différentes « races » humaines ? On notera que la presse française s’est moins formalisée de l’usage du mot « race » à l’occasion de l’élection de Barack Obama, l’homme qui a déclaré « a race est une question que notre pays ne peut se permettre d’ignorer »… Nul n’a crié au châtiment en lisant : « L’élection d’un « frère de race » à la plus haute fonction de l’État est certainement un facteur psychologique très positif pour la communauté noire (et pour les Noirs dans le monde entier). » (Le Point). Personne ne s’est étranglé des propos publiés par Le Monde Diplomatique – « Si les démocrates choisissent M. Obama pour défendre leurs couleurs en novembre, son progressisme présumé a autant de chances d’être sujet à controverse que sa race. » – ou par Marianne – « Les Américains n’ont pas à choisir l’homme qui gèrera au mieux le tsunami boursier et bancaire, celui qui réformera la Sécurité sociale et mettra fin aux folles guerres d’Orient. Ils ont seulement à trancher entre deux races, la leur ou l’autre. » On m’objectera que l’utilisation du mot « race » à propos d’un pays autorisant les statistiques ethno-raciales (celles qui ont révélé que 90 % de l’électorat noir avait voté Obama) et se concevant comme un melting-pot, est certainement moins tendancieuse que lorsqu’elle concerne la France, République « indivisible ». En tout cas, l’utilisation du mot « race » dans un certain discours journalistique n’est pas plus scandaleuse que sa présence dans la Constitution de 1958 qui garantit « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. » Que faire, alors, de cette encombrante notion ? L’interdire, la proscrire ou la (re)-définir ?
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