S’il est difficile de décrypter les signaux envoyés, à coups d’obus et de torpilles, par les dirigeants nord-coréens, il est en revanche de plus en plus clair que la stratégie de la corde raide pratiquée par Pyongyang commence à irriter Pékin. Le mot d’ordre de la politique chinoise est le statu quo. Appliquant la première règle enseignée aux jeunes médecins – primo non nocere –, Pékin préfère ne rien faire, sinon acheter et vendre, plutôt que mal faire. Son intérêt vital est le maintien de la paix et de la stabilité, c’est-à-dire d’un climat international favorable à son développement économique. Dans ce contexte, l’allié nord-coréen devient de plus en plus encombrant. Soixante ans après l’engagement des troupes chinoises dans la guerre de Corée (25 octobre 1950), un conflit armé, avec son cortège de panique sur les marchés et l’envolée des prix des matières premières – est le pire cauchemar des Chinois. Mais leur ami Kim Jong-il se croit encore dans les années cinquante.
La position chinoise à l’égard de la surenchère nord-coréenne suscite nombre d’interrogations. Et les deux réponses possibles sont aussi inquiétantes l’une que l’autre. Première hypothèse : finalement, la Chine ne voit pas d’un si mauvais œil les agissements de Pyongyang. Cela semble peu vraisemblable pour la simple raison que la Corée du Nord semble de moins en moins contrôlable. Ainsi, lors de la dernière visite en Chine du « Cher dirigeant » Kim Jong-il, le chef de l’Etat chinois Hu Jintao a-t-il souhaité une meilleure communication entre les deux pays. Autrement dit, la Chine a formellement demandé à sa turbulente voisine de ne plus la surprendre par des crises incessantes. En clair, loin de téléguider Pyongyang, Pékin se voit chaque fois obligé de réagir à un ordre du jour dicté par les provocations nord-coréennes. Ce n’est donc pas en s’appuyant sur un tel allié que la Chine peut conduire une politique étrangère cohérente.
La seconde hypothèse est plus réaliste : la Chine est piégée, et son champ de manœuvre est limité. Elle a beau être le principal soutien de son voisin boycotté et ostracisé par la plupart des pays du monde, elle ne semble pas avoir beaucoup d’influence réelle sur Pyongyang. Si le chantage pratiqué par les Nord-Coréens s’avère extrêmement efficace, c’est qu’il place les Chinois devant un dilemme majeur : pour avoir le calme il faut tirer les bretelles et peut-être aussi les oreilles de Pyongyang. Or en même temps, l’Empire du Milieu, qui ne souhaite pas avoir 1400 kilomètres de frontière commune avec une Corée réunifiée qui serait un allié intime des Etats-Unis, doit se garder de trop affaiblir son allié nordiste. La patience chinoise sera donc à la mesure de ces enjeux qui laissent à Pyongyang une marge de manœuvre considérable. Le feuilleton coréen nous réserve encore beaucoup d’épisodes.
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