L’écrivaine et philosophe Sylvie Germain a fait parler d’elle, bien involontairement, lorsqu’un extrait de ses œuvres, donné lors du bac de Français, lui a valu une attaque en règle sur les réseaux sociaux de la part de lycéens ayant perdu tout repère. Samuel Bon a lu pour nous son dernier roman.
Tomber d’une fenêtre et s’éclater la tête quelques étages plus bas, surtout quand on a un peu picolé, ça peut arriver à n’importe qui. Se rompre le cou en tombant dans les escaliers, aussi. « L’accident bête », dirait le Venantino Venantini des « Tontons flingueurs ».
Mais quand cela tombe sur deux hommes ayant en commun d’avoir participé à une même soirée, la mort semble tout à coup moins accidentelle. Et si elle ne l’est pas, il ne fait peut-être pas bon être l’ami de Daphné et Hadrien, le couple qui a organisé la sauterie en question, qui ouvre le dernier roman de Sylvie Germain : La puissance des ombres (Albin Michel, 2022).
Cet étrange objet de réflexion que sont les hommes
De fait, il y a un lien entre les deux morts. Et celui-ci n’est pas ténu. Mais loin de le dissimuler pour vous cuisiner à petit feu et ne dévoiler qu’à la dernière page l’identité de l’assassin, Sylvie Germain vous révèle très vite qui a fait le coup. Comme dans les épisodes de Colombo, vous savez dès le départ qui est le meurtrier. En revanche, il vous faut patienter un peu pour connaître les « motivations » du tueur. C’est là l’un des (nombreux) intérêts de ce court roman difficile à lâcher.
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En débutant La puissance des ombres comme elle le fait, Sylvie Germain vous donne l’impression de se risquer au « policier », voire au « polar ». Mais l’ensemble demeure avant tout de la (bonne) littérature. Et pas seulement parce que c’est bien écrit. Mais parce que ça dégage l’horizon, ouvre des perspectives et incite à penser à ces étranges objets de réflexion que sont les hommes. Ce à quoi, d’ailleurs, invitent les belles réflexions de Blaise Pascal et Georges Bernanos, placées en exergue du roman.
Un bémol
Petit bémol : les improbables dialogues du premier chapitre, un tantinet longuet. À moins que Sylvie Germain n’ait à dessein cherché à procurer à son lecteur un sentiment d’irréalité – mais l’on peinerait en ce cas à saisir ce qui aurait motivé un tel parti pris –, ceux-ci sonnent faux. Très faux. Trop faux. Au regard de l’ensemble, pour le moins réaliste, ils détonnent, semblent incongrus. Quiconque tiendrait les propos qu’elle met dans la bouche de ses personnages serait immédiatement interné, peut-être même caillassé.
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Même rue Oberkampf à Paris, personne ne parle comme ça. Et encore moins, s’il n’est pas en état d’ébriété.
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