Pour limiter l’immigration, les Républicains ont donc présenté une proposition de réforme de la Constitution, dans laquelle il est prévu de déroger à un dogme – le principe de primauté du droit européen. La primauté du droit européen est juridiquement contestable, et légitimement discutable. Analyse.
Afin de permettre à la France de décider souverainement de sa politique migratoire, Les Républicains ont proposé une modification constitutionnelle permettant de déroger à la primauté des traités et du droit européen dès lors que les intérêts fondamentaux de la nation sont en jeu. Alors même qu’il est question de dérogation et non de remise en cause (la dérogation admet implicitement le principe), côté Renaissance, la proposition met dans l’embarras, elle déclenche sauts de cabri apeurés et accusations en tout genre de « faire le jeu du Front national ». Or, et contrairement à une légende savamment entretenue, la primauté du droit européen ne résulte d’aucune construction démocratique, bien au contraire, et son application (qui a pour effet de faire primer l’intérêt individuel de l’étranger sur l’intérêt général de la nation) bride de fait toute politique migratoire. Y déroger, au nom de l’intérêt général, devient donc une nécessité.
Le dogme très douteux de la primauté européenne
Il suffit de se rendre sur le site internet EUR Lex, site officiel de l’accès au droit de l’UE, pour y lire que « le principe de primauté du droit de l’UE a été élaboré au fil du temps grâce à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Il n’est pas inscrit dans les traités sur l’UE, bien qu’il existe une brève déclaration annexée au traité de Lisbonne à son sujet ».
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À l’origine de la communauté européenne, les États signataires du Traité de Rome en 1957 avaient pour ambition d’instituer des mécanismes de libre échange et de coopération et s’étaient alors bien gardé de prévoir tout principe de primauté du droit européen sur les droits nationaux. Ce n’est qu’en forçant leur volonté initiale que la Cour de justice des communautés européennes ouvrait la boîte de Pandore en consacrant le principe de primauté dans un obscur arrêt « Costa contre ENEL » rendu en 1964 à propos d’un impayé de factures d’électricité pour un montant total de 1 926 lires. La Cour réaffirmait puis consolidait son œuvre par des décisions « Internationale Handelsgesellschaft » de 1970 et « Simmenthal » de 1978, œuvre dont l’avancée s’est limitée au prétoire de Luxembourg et dont l’intérêt n’a guère dépassé les manuels de deuxième année de droit.
Parallèlement, en France, la Constitution était approuvée en 1958 par référendum, c’est-à-dire un procédé démocratique à la hauteur de la gravité de l’enjeu. Cette Constitution fait référence à la Déclaration de 1789 qui dispose que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation » et qui comporte un article 3 qui rappelle le fondement de l’État de droit : la souveraineté est nationale et elle appartient au peuple. C’est le peuple qui est souverain, pas le juge de Luxembourg. Quand bien même, de décisions « Jacques Vabre » à « Nicolo », la Cour de Cassation et le Conseil d’État se sont progressivement rangés à la prééminence des traités sur la loi, y compris postérieure (mais jamais sur la Constitution), la primauté du droit européen n’est rien d’autre qu’une œuvre purement jurisprudentielle qui n’a jamais fait l’objet d’une consécration démocratique à la hauteur des atteintes qu’elle porte à la souveraineté nationale. Qu’il nous soit permis de penser qu’en démocratie, la loi, expression de la volonté générale, prime sur la jurisprudence. À cet égard, il est légitime de questionner la primauté du droit européen (issue de la jurisprudence) qui, s’imposant au législateur français (la loi), affecte gravement les principes de 1789. Le principe de primauté n’a été ni consenti ni ratifié par les peuples européens, il n’est pas revêtu d’une onction démocratique indiscutable. Présenté au suffrage une seule fois en 2005, il a été rejeté. Il repose sur une faute politique lourde, celle de ne pas avoir reçu la sacralisation démocratique dont il avait besoin. Il mérite amplement d’être discuté, sans que l’on soit accusé de phobie quelconque ou de « faire le jeu de ».
Le droit européen paralyse toute action publique en matière migratoire
Pour reprendre l’expression de Jean-Éric Schoettl, « la politique migratoire est aujourd’hui beaucoup moins déterminée par les pouvoirs publics qu’elle n’est formatée par les règles juridiques fixées par les traités et la jurisprudence des cours suprêmes, notamment européennes. Et ces règles priorisent les droits de la personne étrangère sur les intérêts de la nation ». Le droit européen repose sur un paradigme, celui de la primauté de l’individu sur l’intérêt général, de l’économique sur le politique, du marché sur l’intérêt général, du droit des minorités sur le droit des peuples, de l’État de droit à l’anglo-saxonne défini par le juge sur la souveraineté populaire. En matière migratoire, ce droit est essentiellement conçu par le juge qui, sur le fondement des formulations vagues des textes européens, pratique la surenchère pro migrants et pro LGBT+ en imposant toujours plus de contraintes à des autorités publiques réduites à l’impuissance.
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L’impuissance, c’est celle de ne plus pouvoir exécuter les OQTF (obligations de quitter le territoire français) notamment parce que sous la contrainte européenne, il est impossible de faire du séjour irrégulier un délit ou d’éloigner un étranger qui risquerait chez lui un procès inéquitable ou, s’il se porte malade, l’aggravation de sa pathologie. Déroger au droit européen en certaines circonstances, c’est permettre de rééquilibrer la balance du côté de la protection de l’ordre public au détriment des droits individuels. En démocratie, il n’est pas délirant de se soucier de la satisfaction de l’intérêt général.
La primauté du droit européen contre la démocratie
Le principe de primauté du droit européen se comprend en tant qu’il est une condition nécessaire à l’intégration européenne: il garantit une application effective et uniforme du droit européen partout au sein de l’Union. Il n’est cependant pas un absolu et son questionnement ne saurait trop facilement être considéré comme un « fantasme nationalisme ou cocardier ». N’en déplaise à la Commission, le respect de l’État de droit ne se confond pas avec la surenchère sur le droit des minorités mais doit permettre de garantir le fondement même de la démocratie, la souveraineté nationale et les principes inscrits dans les traités, notamment celui figurant à l’article 4 du traité sur l’Union européenne qui impose à l’Union de respecter l’identité nationale des États « inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles ». Aucun traité ne donne de souveraineté à l’Union dont le fonctionnement demeure régi par le principe de subsidiarité. Imposer une primauté uniquement consacrée par un juge, qui permet la diffusion d’un droit établi sans consentement populaire et qui constitue le bras armé d’un fédéralisme qui n’a jamais été accepté, ce n’est pas la démocratie.
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