Les décisions concordantes des cours suprêmes sur la question migratoire heurtent les aspirations légitimes des peuples souverains.
La dernière en date, rendue le 28 mai 2024, au terme de laquelle le Conseil constitutionnel ouvre, au nom du principe d’égalité devant la justice, l’aide juridictionnelle accordée aux étrangers en situation irrégulière, fait écho à celle du 6 juillet 2018 par laquelle « les neuf sages », en vertu du principe de fraternité, ont censuré toute infraction liée à l’aide à la circulation d’un étranger en situation irrégulière. Entre-temps, il devait le 11 avril 2024 refuser aux LR la possibilité d’organiser un référendum d’initiative populaire sur l’accès des étrangers aux aides sociales non contributives. Cependant, les réformes portant sur « la politique sociale de la nation » peuvent être soumises au référendum de l’article 11 de la Constitution.
Conseil d’État et Conseil constitutionnel contre la volonté populaire
Le Conseil d’État n’est pas en reste. En effet, la haute juridiction administrative, qui depuis longtemps promeut le droit au regroupement familial, comme dérivant du droit de mener une vie familiale normale, dont dispose l’alinéa 10 du préambule de la Constitution de 1946 et l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, vient de franchir une étape supplémentaire. Par un arrêt du 13 mai 2024, il juge légale la subvention accordée par le conseil de Paris, à l’association SOS Méditerranée. Pour rappel, cette dernière affrète des navires (Aquarium, Océan viking) en vue de venir en aide à des ressortissants de pays tiers à l’Union européenne, préalablement embarqués dans des rafiots de fortune au péril de leur vie et sous la férule des passeurs. Le Conseil d’Etat ne convoque ici aucun grand principe, et fonde sa décision sur l’article L 115-1 du Code général des collectivités territoriales qui énonce que : « Dans le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire ».
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Il prend par ailleurs la précaution de préciser que ces collectivités doivent s’abstenir de prendre parti dans un conflit de nature politique et s’assurer que leurs subventions financent uniquement les actions humanitaires de sorte que « l’organisme soutenu, eu égard à son objet social, à ses actions et à ses prises de position, ne poursuive pas en réalité un but politique ». À la différence de la cour administrative d’appel de Paris, il estime que ces critères de légalité sont satisfaits. Or en l’espèce, il ne s’agit plus d’une mission humanitaire de sauvetage en haute mer pour secourir des migrants en détresse en les dirigeant vers le port le plus proche, mais de rejoindre systématiquement l’Europe. L’association en cause ne fait pas mystère de son but politique dénonçant la fermeture des pays occidentaux et visant à abolir les frontières. Son action contrarie donc le semblant de politique étrangère de la France en la matière.
La Cour des comptes complice
Le gouvernement des juges sur la question migratoire a pu compter sur la complicité de la Cour des comptes. Son président a en effet décidé de retarder la publication d’un rapport sur l’immigration initialement prévu pour le 13 décembre 2023 afin qu’il n’interfère pas avec l’examen et le vote de la loi sur l’immigration (n°2024-42 du 26 janvier 2024). Ce rapport critique sévèrement les dysfonctionnements systémiques tel que le faible taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF). Il ne devait donc pas être un élément du débat parlementaire ! Pourquoi ? Ne relève-t-il pas des missions du juge de la rue Cambon, en vertu de l’article 47-2 de la Constitution, « d’assister le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement » ?
Si l’on met en perspective la décision du Conseil constitutionnel sur l’aide juridictionnelle accordées aux étrangers en situation irrégulière fondé sur le principe d’égalité, concept polymorphe d’une part, et la récente préconisation de la Cour des comptes de diminuer la charge des arrêts de travail pesant sur la Sécurité sociale (rapport 2024 sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale) d’autre part, on s’interroge sur la cohérence globale en termes d’économie des dépenses et des priorités envisagées pour les réaliser. Le tout fait émerger une jurisprudence qui traduit des choix idéologiques. Or, il ne relève pas des missions du juge de déterminer la politique de la nation. Il n’est pas, dans l’exercice de son office, un organe d’expression de la souveraineté nationale.
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Au diapason des instances supranationales
Le synoptique ne serait pas complet si les Cours suprêmes européennes n’étaient pas au diapason de cette jurisprudence immigrationniste. La Cour de justice de l’Union européenne juge, que lorsqu’un État membre réintroduit temporairement des contrôles à ses frontières intérieures, la directive retour s’applique à tout ressortissant de pays tiers, sur le territoire de l’Etat membre. La décision de refus d’entrée est donc privée d’efficacité (CJUE, 19 septembre 2023). La Cour européenne des droits de l’homme a préalablement jugé que les migrants arrivant à Lampedusa ne peuvent être renvoyés (arrêt du 23 février 2021). Les Cours suprêmes sont sorties de leurs lits en opérant une sorte de coup d’État de droit. Elles ont pris leur essor en s’appuyant sur des textes à portée plus philosophique que juridique, tel que le principe de fraternité attaché à la devise républicaine. Sans réelle portée normative, ils libèrent l’interprète de toute contrainte et ouvrent la voie au gouvernement des juges, qui parfois n’hésitent pas à donner une lecture contra legem de la loi. Le défi migratoire inscrit à l’agenda la question du droit à la continuité historique. Or, cette question existentielle ne peut rester confinée dans les prétoires[1]. Si la France veut se réapproprier la politique migratoire, attribut de sa souveraineté, elle n’aura d’autre possibilité que de convoquer un « lit de justice » pour casser ces jurisprudences, en révisant sa constitution, et au besoin par référendum. Le retour à l’étiage juridictionnel sera plus conforme au schéma de la séparation des pouvoirs.
[1] Voir aussi, Wilfried Kloepfer, Le droit à la continuité historique (Vérone Editions, déc. 2023).