Au fond, quand j’ai fondé le Parti de l’In-nocence, il y a dix ans, j’aurais peut-être dû l’appeler « Parti réactionnaire ». J’y avais d’ailleurs songé. En tout cas, cela simplifierait joliment la tâche des malheureux qui s’épuisent auprès de maires ruraux, en ce moment même, à leur arracher des promesses de parrainage pour ma candidature à la présidentielle. « Parti de l’In-noquoi ? », s’entendent-ils demander régulièrement. Tandis que réactionnaire, tout le monde comprend tout de suite. Ou du moins comprend quelque chose. Sans compter que réac, ainsi que l’abrège en gros caractères la couverture du livre d’Ivan Rioufol, De l’urgence d’être réactionnaire, prête à toutes sortes de jolies anagrammes approximatives : écart, racé, arqué, arkhé, carré, sans parler de Ceyrat, commune du Puy-de-Dôme (tiens, je me demande si on leur a demandé, à ceux-là…). Je laisse de côté âcre, race et même le care, cher naguère à Florence Nightingale Aubry…[access capability= »lire_inedits »]
Rioufol est d’une espèce trop rare, et il nous est trop précieux pour que je puisse me permettre de le critiquer − je n’en ai d’ailleurs nulle envie, et n’en aurais guère l’occasion (quelques y qui traînent après des dans, comme d’autres laissent ramper des dont après des de : « Dans certains quartiers des cités françaises, la police y est vue… » : distraction de correcteurs (des PUF, tout de même…). Il lui arrive, derrière Laurent Joffrin, d’estimer à quatre, oui, quatre (« Alain Finkielkraut, Éric Zemmour, Élisabeth Lévy, Ivan Rioufol »), le nombre des publicistes et intellectuels qui tiennent tête à eux seuls à l’unanimité actionnaire, comme disait Muray, de trente-sept mille journalistes. Il me semble qu’on pourrait aller jusqu’à dix ou quinze, dont quelques-uns dans cette maison. N’empêche, c’est la petite souris contre l’éléphant. Les pattes serrées sur son tabouret, l’éléphant barrit d’exaspération et soutient que la petite souris est partout ; qu’on ne voit qu’elle, n’entend qu’elle et ne peut ouvrir un journal sans tomber sur elle (les éléphants ont un système de perception très différent du nôtre).
Notre réac’chef est d’ailleurs très optimiste. La petite souris va faire le printemps, à son avis (elle ferait bien de se dépêcher un peu…). Lui compte beaucoup sur le peuple : « …il revient à ceux d’en bas, pourtant théoriquement abrutis par un environnement ludique, un consumérisme téléguidé et une école décérébrée [ça commence mal…] de voir et de penser plus loin que ceux d’en haut. » Mais du peuple, il se fait une idée un peu abstraite, en bon ayant-droit qu’il est malgré tout des Lumières, où il voit le plus précieux de l’héritage national. Ainsi « ce n’est pas la multi-ethnicité qui est le problème », selon lui, « c’est le multiculturalisme ». Sans doute, mais le multiculturalisme a peut-être bien un petit quelque chose à voir avec la multi-ethnicité, non ? À réac, réac et demi. C’est d’abord la culture qui peut intégrer des individus mais pas des peuples.
Pas étonnant dans ces conditions qu’il soit « de ceux qui veulent croire encore en la compatibilité de l’islam avec une forme de démocratie » ; et qu’il juge « irréaliste et inutile [l’] immigration zéro ». En revanche, il estime déjà que « quant à l’intérêt d’une démographie en constante augmentation, il mériterait d’être étudié de plus près ». C’est dire s’il est sur le bon chemin. Allons, Ivan Rioufol, encore un effort pour être tout à fait réac…[/access]
Yvan Rioufol, De l’urgence d’être réactionnaire, PUF.
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