Au cœur d’une forêt enchantée, une petite renarde nous invite à une célébration de la vie. La voix envoûtante d’Elena Tsallagova illumine cette production exceptionnelle. Une touche de fraicheur de la part de l’Opéra de Paris, appréciée
Bizarrement, dans le générique du programme édité par l’Opéra de Paris, aux côtés de Nicky Rieti pour les décors et d’André Diot pour les lumières, ne figure pas le nom d’André Angel – mais seulement celui de Dagmar Pischel, responsable de la présente reprise, en effet, d’une mise en scène mythique entre toutes : produite il y a quinze ans, à Lyon, par trois vétérans dont les talents associés ont assuré, pendant un demi-siècle, le renom des planches parisiennes, du Théâtre Gérard Philippe au Théâtre de l’Europe, en passant par la MC93 de Bobigny… Angel et Rieti sont aujourd’hui presque octogénaires, Diot a 90 ans.
Par sa fraîcheur, sa malice, sa poésie, le vif chromatisme de ses décors et de ses costumes animaliers, cette mise en scène de La Petite renarde rusée ne sonne nullement comme un chant du cygne. Dans ce court opéra tardif crée à Brno par Leoš Janáček (1854-1928) quatre ans avant sa mort, le compositeur tchèque, alors âgé de 70 ans, développe une fable étrange, attendrissante, cocasse, cruelle, qui n’a pas du tout l’acidité morbide de L’affaire Makropoulos, composé un an plus tard (et que l’Opéra-Bastille a d’ailleurs redonné, on s’en souvient, à l’automne 2023, dans la très belle régie du Polonais Krysztof Warilowski).
Ici, le plateau nous ouvre dans les grandes largeurs un champ de tournesols en pleine floraison sous le soleil, où va s’ébattre, dans une succession de tableaux égrenés en trois actes jusqu’aux neiges de l’hiver, un microcosme animalier haut-en-couleur, dont cette petite renarde rousse est l’héroïne, au milieu d’une ménagerie de grenouilles, de sauterelles, de grillons, de poules, et même d’un chien et d’un blaireau qui se disputent la partie, entre un garde-chasse, un instituteur, un curé, un braconnier et l’aubergiste du village…
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Pas d’intrigue clairement identifiable dans cette œuvre, ce qui la rend assez déconcertante, pour le spectateur plus familier des transes sentimentales propres à la tradition lyrique, mais un kaléidoscope d’images superbement coloriées : on sait que le compositeur a trouvé l’inspiration de son livret dans la lecture d’un roman-feuilleton illustré, La renarde de fine-oreille (auquel, non sans anachronisme, le programme de l’Opéra prête le nom de « BD » – c’est sans doute plus vendeur)… Tour à tour grinçante, luxuriante et délicate, la partition de Janáček tranche paradoxalement avec le prosaïsme des situations, traversée qu’elle est d’une somptueuse opulence polyphonique où les voix traduisent, sans emphase, les palpitations de l’âme humaine et la nostalgie du paradis perdu.
Singulière allégorie, donc, portée, au soir de la première, par l’actuel directeur musical de l’Orchestre symphonique de Huston, Juraj Valcuha, à la tête d’un Orchestre national de Paris à son meilleur. L’excellente soprano russe Elena Tsallagova reprend le rôle-titre qu’elle chantait déjà dans cette même enceinte en 2008. Vocalement de toute première qualité, la distribution a opéré quelques chaises musicales, le baryton-basse Milan Siljanov endossant l’habit du garde-chasse en remplacement de l’Écossais Iain Paterson, tandis que sous les traits du vagabond le baryton tchèque Tadeas Hoza fait également ses débuts à l’Opéra de Paris.
Car il se trouve que notre barde national Ludovic Tézier, souffrant, ne sera pas le Wotan de L’Or du Rhin dans la nouvelle production très attendue, dans moins de quinze jours à l’Opéra-Bastille, mise en scène par Calixto Bieito (cf. l’an passé, le double échec-et-mat des Simon Boccanegra et The Exterminaiting Angel) . Et qui le remplace ? Iain Paterson, justement. Wagner y perdra-t-il au change ? Ce n’est pas dit.
La Petite renarde rusée. Opéra de Leoš Janáček. Direction : Jurak Valcuha. Mise en scène : André Engel. Décors : Nicky Rieti. Opéra Bastille, les 21, 24, 28 janvier, 1er février à 19h30.
Durée : 2h05