Les événements du Jour de colère du 26 janvier ont déjà été rapportés ici et là par deux excellents reporters, inutile de revenir sur le détail de cette mascarade. Mais je voudrais m’adresser directement aux organisateurs, masqués, de cette manifestation. M’adresser à vous, Grégoire, Frédéric et quelques autres parce que, malgré votre anonymat, je vous connais. Je vous connais parce que nous sommes nés dans le même monde, au même endroit symbolique dirais-je, et que nous avons fréquenté parfois les mêmes paroisses. Je précise ceci parce que je sais que vous êtes catholiques, et s’il me souvient que dans votre jeunesse vous avez fréquenté certain groupuscule aux méthodes brutales, je croyais que vous aviez tourné la page. Mais il semble qu’il soit des violences dont on ne se débarrasse jamais, quand bien même on croit dans le Christ. Si je m’adresse à vous, c’est aussi que je sais que si vous n’êtes pas des crapules, vous avez pourtant couvert, volontairement ou non, une réunion sur la voie publique où l’abject le disputait au ridicule. J’ai du mal à croire que vous ayez pu ignorer qu’à votre cortège de « contribuables en colère » et de catholiques dépités par l’échec des Manifs pour tous se joindraient des lascars crétins de banlieue cornaqués par un Alain Soral triomphant. J’ai du mal à comprendre qu’alors que Dieudonné lui-même avait appelé à vous soutenir, vous ayez pu ne pas imaginer quels slogans antisémites allaient fleurir sur le pavé parisien. Et j’ai encore plus de mal à comprendre comment, pas une seule fois depuis, vous n’ayez exprimé publiquement votre désapprobation vis-à-vis de ces faits – qui sont réels, ils se sont passés précisément en bas de chez moi.
En vous abstenant de toute condamnation, en vous abstenant de plus de parler à visage découvert – avez-vous peur de vos idées ? – vous avez objectivement déshonoré les combats que vous assuriez mener. Je vous laisse bien volontiers la défense du libéralisme économique, assassiné selon vous par une introuvable « dictature socialiste » que je ne vois nulle part dans le programme du Medef que notre président s’apprête à appliquer, et dont je me demande d’ailleurs comment vous arrivez à la lier à l’antilibéralisme soralien. Mais je ne vous laisse pas le droit de salir la lutte contre le « mariage pour tous » ou encore contre l’idéologie du genre en faisant hurler « Faurisson a raison ». Je ne vous donne pas non plus la permission de convoquer des jeunes catholiques idéalistes – certains sont mes frères et sœurs – pour leur faire côtoyer la lie de l’antisémitisme 2.0, où l’espérance du califat universel fricote avec la dénonciation des 200 familles d’un maurrassisme rance. Je ne vous laisserai jamais le droit de faire accroire, non seulement à ces gamins perdus dans les sables de youtube et de facebook, mais encore au public français, que le catholicisme de France aujourd’hui, ce puisse être l’éruption de cette haine contre la « communauté organisée ». J’aimerais enfin qu’on me fasse connaître le rapport entre les lois misérables de ce gouvernement et les juifs de France, ou d’Israël, ou de New York, ou de n’importe où. Sûr que lorsqu’on se sera débarrassé – comment d’ailleurs ? – des 600 000 juifs de ce pays, tout ira bien, la banque cessera de nous voler, l’Etat confiscatoire disparaîtra, les agressions dans les banlieues ne seront plus qu’un lointain souvenir, la croissance repartira, les embryons seront reconnus comme des êtres humains et il n’y aura plus de burqa. Bien entendu.
Vous avez le droit de ne pas aimer cette République, qui nous aura si durement traités, et l’on peut reparler mille fois de l’Algérie française, de mai 68, de Pétain, du modernisme, de l’affaire des fiches, de la loi de 1905, ou même remonter à la mort du roi ou au génocide vendéen. Pourquoi pas. Mais je crois que j’aime la France au moins autant que vous, et je sais que son honneur a toujours été de refuser l’usage du bouc-émissaire, justement parce que cette France est chrétienne. Aussi qui touche à un cheveu des juifs porte immédiatement atteinte à l’honneur de la France, et donc au mien. Les juifs, oui, disons-le, et plus aujourd’hui encore qu’hier, relisez Bernanos. Ces juifs qui pouvaient dire à une époque que l’on était heureux comme Dieu en France et que l’on rend aujourd’hui malheureux comme Finkielkraut. Les juifs qui quoi d’ailleurs ? Qui dominent le monde et la finance ? Ne me faites pas rire. Comme si dans certaines banlieues favorisées que l’on connaît très bien vous et moi, les bons parents catholiques n’inscrivaient pas en masse leurs enfants à HEC ou au concours du barreau. Comme si dans les vingt premières fortunes françaises, il n’y avait pas une majorité de vieilles familles catholiques. Mais ceux-là, vous ne les attaquez pas, et au contraire vous traitez avec eux contre le péril communiste – extrêmement menaçant de nos jours.
Alors, je ne crois pas que vous soyez vous-mêmes capables de toucher à un cheveu d’un juif, et je connais le secret de votre stratégie, qui est comme pour Soral d’utiliser le pseudo-prolétariat immigro-musulman comme une arme conservatrice contre la postmodernité de la gauche. Manquerait plus que vous soyez financés par la Syrie et par l’Iran. Mais je crois que vous avez manqué un épisode : ici, ce n’est pas le Liban, c’est la France et l’alliance « antisioniste » avec votre Hezbollah de pacotille, si elle avait lieu, ce qu’à Dieu ne plaise, non seulement se retournera contre vous, mais vous discréditera à jamais. Vous ajouteriez seulement la défaite au déshonneur.
Je voudrais croire que vous avez été abusés lors de cette manifestation, et que vous ignoriez ce qui allait se produire – même à la marge. Mais j’avoue que j’en doute, d’autant plus que, répétons-le, nulle part vous ne vous en êtes désolidarisés. Et si vraiment vous êtes persuadés qu’il s’agit de lutter contre le complot judéo-maçonnique ou quelque chose d’approchant, dites-le clairement. Au moins, nous saurons définitivement que nous ne sommes pas dans le même camp.
*Photo: MEUNIER AURELIEN/SIPA. 00674233_000034.
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