Alors que le monde occidental voue à l’égalité un culte inconditionnel, les malfaisances de la passion d’égalité prennent des formes de plus en plus dangereuses.
Aujourd’hui, au nom du refus de toute discrimination, la sécurité des citoyens n’est plus garantie correctement. Or la sécurité constitue le socle de la société et sa principale raison d’être. C’est la forme d’égalité minimale indispensable au bien commun, avec pour corollaire la liberté civile. Dès lors que la sécurité et la liberté de tous sont assurées, toute mesure en faveur de plus d’égalité a toute chance d’être une mauvaise chose. Car l’égalité n’occupe qu’une toute petite place dans ce qu’on appelle l’intérêt général ou le bien commun. Beaucoup plus que d’égalité, une population a besoin de sécurité, de liberté, de bien-être matériel et moral, de prospérité, de richesse intellectuelle et artistique, de continuité démographique. Or l’obsession d’égalité compromet grandement tout cela : elle amoindrit ou détruit la sécurité, la liberté, la prospérité, elle brise la transmission du savoir et la continuité démographique.
La maladie d’égalité
C’est dans une grande mesure au nom de l’égalité qu’ont été adoptées les politiques publiques responsables du déficit des naissances qui détruit lentement mais sûrement les pays d’Europe occidentale, et que le professeur de droit Yves Lequette qualifie de « génocide mou ». L’émancipation des femmes par la vie professionnelle étant défavorable à la natalité, celle-ci doit être vigoureusement encouragée pour assurer le renouvellement des générations ; or on a, par passion égalitaire, presque entièrement supprimé la politique familiale pour les classes moyennes et aisées. L’argument de l’égalité entre les femmes avait été invoqué par Simone Veil en faveur de sa loi de 1974 légalisant l’avortement. La recherche de l’égalité entre les femmes et les hommes a été mise en avant par l’Assemblée nationale pour proclamer que l’avortement était un « droit fondamental ». Et le projet égalitaire mondial qui inspire le droits-de-l’hommisme nous invite à accepter que l’insuffisance des naissances européennes soit compensée par ce que Jacques Julliard estimait légitime d’appeler le grand remplacement1. Si bien que les nations occidentales périssent d’elles-mêmes, par maladie d’égalité. La poursuite obsessionnelle de l’égalité qui a naguère entraîné les crimes de masse du communisme mène aujourd’hui les nations européennes vers « l’abîme de l’histoire » annoncé par Valéry.
L’égalité des droits ne suffit plus, on réclame l’égalité « réelle »
Il est vain d’espérer lutter contre les effets néfastes de l’obsession égalitaire par l’affirmation que l’égalité légitime est celle des droits. En effet, à partir du moment où on se place dans une perspective de sacralisation de l’égalité comme l’a fait la France révolutionnaire avec sa Déclaration de 1789, il devient vite évident aux yeux d’un certain nombre de gens que l’égalité des droits ne suffit pas à étancher leur soif d’égalité. Ils exigent l’égalité « réelle » comme l’ont fait le babouvisme, les socialismes, le communisme et aujourd’hui le droits-de-l’hommisme et le wokisme.
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La seule manière de combattre efficacement la maladie égalitaire est de montrer que la recherche de l’égalité n’est pas le but le plus noble de toute action politique, de rappeler que l’égalité n’est pas le bien commun. Bref, de désacraliser l’égalité.
D’ailleurs, on fait à l’inégalité un mauvais procès en la prétendant responsable de la pauvreté. La pauvreté des uns n’a jamais eu pour cause principale la richesse de certains autres. Et si jamais il en fut ainsi pour les inégalités du passé, il n’en est plus de même aujourd’hui. Si une partie de l’humanité a réussi à s’extraire de la malédiction millénaire de la pauvreté du plus grand nombre, c’est grâce au progrès technique et au développement économique et non grâce à des politiques égalitaires.
Fondamentalement, la civilisation est un processus inégalitaire. Depuis la préhistoire, l’histoire de la civilisation a été l’histoire de l’inégalité. À travers les millénaires et les siècles, les sciences, les arts, la littérature et la pensée furent le fruit de sociétés inégalitaires. D’ailleurs, les babouvistes étaient conscients que la parfaite égalité dont ils rêvaient allait faire mourir la vie intellectuelle et artistique, et ils l’assumaient pleinement : « Périssent, s’il le faut, tous les arts, pourvu qu’il nous reste l’égalité réelle. »
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- « L’expression n’est jamais abordée dans le langage courant sans une multitude de guillemets et de points d’interrogation, à cause de son côté polémique, alors qu’elle relève du simple bon sens. Comment l’apport continu d’éléments nouveaux ne modifierait-il pas la nature de la donnée initiale ? Du reste, comme le fait justement remarquer Onfray, en parlant, non sans abus de termes, de « créolisation » de la population européenne, Jean-Luc Mélenchon admet implicitement le grand remplacement, tout au moins la grande mutation » (Marianne, 9 décembre 2022) ↩︎
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