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La passion anti-libérale est toujours aussi vivace en France

La vraie menace aujourd'hui vient de l'anticapitalisme primaire.


La passion anti-libérale est toujours aussi vivace en France
La Défense, à Paris. Capture d'écran Twitter / @albertinsimonet

Le véritable danger qui plane sur notre société n’est pas vraiment l’« ultralibéralisme » qui n’a jamais régné en maître en France, pays où l’interventionnisme étatique a toujours été la norme. C’est bien plutôt l’idéologie anti-libérale de l’extrême-gauche. Les analyses de Jean-François Revel peuvent nous aider à mieux démêler le vrai du faux dans cette guerre des idées.


Au moment où les régimes communistes s’effondraient, à la fin des années 80 et au début des années 90, la cause paraissait entendue : le capitalisme libéral avait triomphé pour de bon de son adversaire mortel, le totalitarisme communiste. Celui-ci, par épuisement, avait implosé sous nos yeux. Les libéraux avaient donc remporté la bataille politique, économique et idéologique du XXe siècle qui les avait opposés aux tenants du socialisme d’État totalitaire, lequel semblait, sur le moment, défunt et enterré à tout jamais, sans possibilité pour lui d’être réhabilité si peu que ce fût. La faillite du socialo-communisme semblait également signaler celle du collectivisme : on reprenait conscience de ce que le fonctionnement des États omnipotents avait toujours reposé sur le mépris de l’individu, acteur économique, social et culturel primordial auquel il convenait dès lors de redonner ses lettres de noblesse. (Voir notamment les livres d’Alain Laurent, tels que L’Individu et ses ennemis, Hachette « Pluriel », 1986).

Dans son ouvrage La Grande Parade (Plon, 2000), Jean-François Revel a su brillamment analyser l’extraordinaire campagne de réhabilitation du socialisme qui fut mise en place durant les années 90 par ceux qui refusèrent alors de tirer les conséquences de l’échec du communisme, si patent qu’il fût dans tous les domaines. Si bien que beaucoup en vinrent à considérer, sous l’empire de cette nouvelle « pensée unique », que le grand vaincu de l’histoire du XXe siècle était en fait le libéralisme et non le socialisme. Pour accréditer leur thèse, les apologistes rétrospectifs du socialisme usèrent d’un double stratagème, parfaitement documenté par Revel : le premier avait pour but de minimiser les crimes communistes, le second, celui de noircir à dessein le tableau du libéralisme, voire de lui imputer des travers qui ne sont pas les siens en réalité.

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C’est ainsi que l’un des plus gros bobards concernant les économies occidentales – notamment l’économie française – fut propagé, au point de s’être implanté, de manière parfois quasi-indéracinable, dans l’esprit de quantité de nos compatriotes : celui selon lequel nous vivrions dans une « société ultralibérale », dominée par la « loi de la jungle » et la « dictature du profit ». Or, un examen sommaire de la situation économique et fiscale de notre pays – l’un des pays occidentaux où les prélèvements obligatoires en tous genres sont les plus lourds, comme l’économiste Pascal Salin l’a souvent rappelé, un tel examen, donc, suffit à montrer comment cette prétendue « société ultralibérale », tant redoutée et flétrie par la gauche radicale, n’a que peu de rapports avec la société française existante – dans laquelle au moins la moitié de la richesse nationale créée est redistribuée sous la forme d’argent public. Les indécrottables préjugés « ultraétatistes » des contempteurs idéologiques du libéralisme – dont ils ignorent à vrai dire bien souvent l’histoire autant que les principes fondamentaux – les conduisent en fait à faire deux choses : d’une part, à transformer en épouvantail, en repoussoir culturel et social, un modèle de société fondé sur le marché libre et la limitation stricte du pouvoir étatique à sa seule sphère régalienne ; et, d’autre part, à assimiler grossièrement à un tel modèle de société un pays comme la France, dont l’économie reste très fortement teintée d’interventions et de réglementations étatiques – ce qui devrait en fait rendre impossible la qualification de société « libérale » dans son cas. Non, la France n’a jamais été « ultralibérale », et elle est toujours aussi loin de l’être : elle n’apparaît à vrai dire comme telle qu’à celles et ceux qui se montrent incapables de voir le pays autrement qu’à travers les lunettes déformantes de l’« ultra »-collectivisme – dont le fardeau est quant à lui toujours bel et bien aussi accablant.

Le libéralisme, rappelait Jean-François Revel, n’est pas une idéologie, mais plutôt une philosophie. Revel citait souvent Adam Smith à l’appui de sa conception du libéralisme : l’auteur de la Richesse des Nations (1776), disait-il fréquemment, s’est d’abord interrogé empiriquement sur les facteurs pouvant expliquer que certaines nations s’étaient enrichies, contrairement à d’autres. Le libéralisme relèverait donc d’une démarche humble, fondée sur le recours à l’induction : plutôt que de « déduire » de certains principes théoriques les causes de la richesse des pays, observons concrètement comment procèdent ceux qui deviennent prospères. De même, la véritable écologie (non idéologique) devrait procéder ainsi : elle devrait être humble et reposer sur un examen strictement scientifique du réel observable. Au lieu de cela, une véritable religion écologiste semble s’être largement implantée dans la société, sur des bases bien plus idéologiques que scientifiques. Cette religion se caractérise notamment par son clergé et son orthodoxie, établissant de manière péremptoire le camp du « Bien » (les adeptes de l’idéologie écolo-socialiste en vogue actuellement) et celui du « Mal » (ceux qui, tout en pouvant parfaitement se montrer sincèrement préoccupés par les questions environnementales, refusent de se laisser enrôler dans cette idéologie, dont l’anticapitalisme primaire reste en fait le principal ressort).

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Revenons encore à Revel : l’auteur de Ni Marx ni Jésus (1970) et de La Tentation totalitaire (1976) avait aussi coutume de dire qu’une société peut parfaitement être démocratique dans son ensemble, tout en recelant des « segments totalitaires » ou des « segments idéologiques » : ainsi en est-il lorsqu’une minorité complètement fanatique croit savoir ce qu’il est bon de faire à l’échelle du segment de société en question, voire à l’échelle de la société tout entière, ou même du genre humain, et prend ainsi le contrôle de ce segment en lui imposant autoritairement ses idées, à l’exclusion de tout autre point de vue. À cet égard, notre société, de plus en plus guettée par le péril « woke », semble bien plus menacée par le fanatisme d’extrême-gauche – passé ces derniers temps du marxisme à l’écolo-socialo-étatisme -, que par son « ultralibéralisme », bien plus chimérique que réel. Il est donc aujourd’hui essentiel que des voix authentiquement libérales s’élèvent pour faire entendre une note discordante dans le paysage médiatico-culturel du moment, largement dominé par l’existence d’une « pensée unique » néosocialiste. Faute de quoi, nos enfants viendraient à considérer les préceptes idéologiques de cette pensée unique comme des données allant de soi, ne méritant pas d’être remises en question, ni même simplement discutées.   



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