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Limites du libre arbitre

« La Partition (Sterben) », un film allemand de Matthias Glasner, le 4 septembre 2024


Limites du libre arbitre
Lars Eidinger dans "La Partition" (2024) de Matthias Glasner © Bodega Films

Dans son nouveau film, Matthias Glasner explore avec empathie les tracas de la famille d’un chef d’orchestre tourmenté…


Tom, un chef d’orchestre, répète patiemment au pupitre, devant une jeune formation orchestrale, la symphonie de son ami compositeur contemporain, Bernard, un écorché vif au physique verlainien, qui y assiste sur les charbons ardents, la perspective de la première berlinoise attisant ses angoisses. C’est dans cette atmosphère électrique que le travail se poursuit tant bien que mal. Tom est séparé depuis longtemps de Liv, qui vient d’accoucher d’un bébé dont le père est le plus ancien compagnon de Tom – double paternité en quelque sorte. Quant au père de Tom, gravement atteint de la maladie de Parkinson, il perd manifestement le ciboulot. Sa mère ne se porte pas beaucoup mieux, elle ne marche qu’avec des béquilles, sa vue baisse dangereusement, et elle se sait secrètement en sursis. Le vieux ménage d’origine modeste peine à s’en sortir avec les aides sociales qui lui sont âprement comptées.  Stella, la sœur de Tom, est assistante médicale d’un dentiste adipeux marié à une femme qui élève leurs deux enfants à Munich et elle partage avec cet homme un alcoolisme invétéré qui ajoute à ses infirmités psychiques, ce qui ne l’empêche pas de forniquer à satiété avec lui.

Non-dits

Les pièces de ce puzzle tribal s’assemblent de proche en proche, comme en tâtonnant, sans qu’on sache vers quelle configuration finale il se destine. Cinéaste d’outre-Rhin, Matthias Glasner sait se faire rare : son dernier film, La Grâce, remonte tout de même à l’année 2012. Ensuite, Glasner a enchaîné les séries, pour le grand écran et la télévision. Pour autant La partition, toute imprégnée qu’elle soit de cette longue expérience stylistique, emprunte beaucoup moins à l’esthétique ultra-formatée propre, assez banalement, à la majorité des séries cinématographiques qu’à la configuration formelle du genre.

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C’est ainsi qu’au fil des chapitres de ce très long métrage – trois heures ! – l’intrigue se déplace et avance par paliers, épousant tour à tour le point de vue d’un des protagonistes autour de Tom, fil conducteur de ce psychodrame familial qui ménage des rebondissements singuliers, et dont le concert en gestation constitue la ligne de fuite. Le climax, au milieu du film, se cristallise dans un dialogue d’une bonne vingtaine de minutes où l’on voit la mère et le fils lever le voile sur les lointains non-dits de leur relation…


Divisé, donc, en chapitres dûment titrés sur fond de vignettes naïves, comme l’on ferait d’un conte pour ces éternels enfants que sont les adultes (exemples : chap. 3 : Ellen Lunes, chap. 4 : La ligne rouge, chap. 5 : L’amour…), le scénario avance en crabe, tout en reprises, en sinuosités, en pas de côté. La musique qu’on entend sous la battue de Tom, authentiquement interprétée par l’orchestre qu’on voit à l’image, est signée du compositeur de musiques de film Lorenz Dangel : elle figure en quelque sorte la basse continue de La Partition. Au plan esthétique, le film, par bien des aspects, est à rapprocher du cinéma de Philippe Garrel (J’entends plus la guitare), avec lequel il partage un réalisme à la fois cru et épuré. On pense aussi à Igmar Bergman, auquel il est fait d’ailleurs allusion à plusieurs reprises, et dont le dénouement épouse la cruauté sans phrases.

Névroses

« Le kitsch, c’est quand le sentiment n’est pas à la hauteur de la réalité », dit, à un moment donné, Bernard, le compositeur tourmenté, à Tom son ami chef d’orchestre, pour lui exprimer l’écueil qu’il cherche à éviter à tout prix dans sa musique. C’est très précisément ce à quoi La Partition – titre original : Sterbern, « mourir », en français – se soustrait par une âpreté sans mélange, une violence viscérale, une façon de montrer avec empathie les infirmités, les névroses, les vulnérabilités des protagonistes, sans une once de cynisme ou d’ironie. Un des premiers films de Matthias Glasner s’appelait Le libre arbitre. C’est la question de fond que poursuit encore La Partition : si rien n’est écrit d’avance, est-on pour autant son propre maître ?       

La Partition (Sterben). Film de Matthias Glasner. Avec Lars Eidinger, Corinna Harfouch, Ulrich Stangenberg. Allemagne, couleur, 2024.

Durée : 3h 




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