Judith Godrèche n’en finit pas d’accuser-condamner les hommes qui ont partagé sa vie et sa carrière. Victime sanctifiée aux Césars, elle est devenue le nouveau visage de MeToo. La profession est sommée de racheter son âme et, pour cela, n’hésite pas à sacrifier ses monstres sacrés.
Distillé crescendo depuis plusieurs semaines, l’édifiant feuilleton #MeToo de ce début d’année autour de Judith Godrèche appelle quelques réflexions. Dissonantes sans doute, dans le fascinant unisson qui enfle et porte toujours plus haut la complainte accusatoire de l’actrice « traumatisée »– ornementée parfois de pieuses repentances, ainsi les excuses sirupeuses présentées par Laure Adler à l’héroïne du moment.
Judith Godrèche revient des États-Unis après plusieurs années d’absence, avec une série dont il lui faut assurer la promotion, Icons of French Cinema, inspirée de son « enfance » abusée par le « système de prédation » du cinéma français. La chair innocente livrée sans défense à des Barbe-Bleue « systémiques » : thème porteur (et lucratif), depuis le succès phénoménal du livre de Vanessa Springora, Le Consentement.
Version antérieure
C’est dans le droit fil des thèmes lancés alors sur le marché florissant de la metoosphère – l’emprise, le scandale absolu que représente aujourd’hui l’idée d’une relation amoureuse ou sexuelle entre un adulte et un adolescent, ce dernier aurait-il atteint et dépassé l’âge de la majorité sexuelle –, que la Parole de Judith Godrèche opérera. « Avant d’être enfin entendue, c’est-à-dire que sa parole se change en vérité, Judith Godrèche avait déjà parlé. » (Hélène Frappat). Mystère de la transsubstantiation qui s’accomplit dans la grand-messe MeToo : « Ceci est mon corps outragé, amen ». Pour célébrants : les médias, grands et petits. Et parmi eux, guidant avec componction les génuflexions des dévots, quelques prélats : ainsi Le Monde délivre-t-il, trois jours de suite sur double-page (et en une le troisième jour ; le Christ est une femme) la Parole de la divine « enfant kidnappée ».
Elle avait déjà parlé, oui. Mais pour dire tout autre chose : lors d’une interview en 2010, elle évoquait son histoire de jeune fille de 15 ans « extrêmement déterminée » (fillette terrifiée ?) à vivre sa longue (et à beaucoup d’égards successfull) relation avec Benoît Jacquot, qualifié de « très séduisant » (vous avez dit « dégoût » ?), et dont l’emprise fut « extrêmement inspirante », dit aussi l’actrice.
Sa parole alors –sans majuscule : flatus vocis ? Judith Godrèche, toute fière, ne chuchotait guère pourtant. Elle renie aujourd’hui sa version antérieure, et ses mots inverses, consacrés par la liturgie médiatique de la « parole libérée » à laquelle tous sont aujourd’hui sommés de communier, font advenir enfin, proclame-t-on, le règne du Vrai, du Bien, du Juste. Que les Mauvais soient, en masse indistincte, précipités dans la géhenne. Jacquot = Doillon = Depardieu (derniers en date) = Richard Berry = Alain Corneau (†) = Harvey Weinstein = Woody Allen = Roman Polanski (le prototype) = tous les autres, à quoi bon les différencier, ils SONT le Vice. Dans un monde dûment purifié, tout ira mieux.
Sanctification définitive d’une opération de communication digne des télévangélistes les plus consommés : Judith Godrèche – qui a aussi officié lors de la cérémonie des César, la glamourisation de la « victimitude » est une affaire qui marche– sera reçue au Sénat, à l’initiative de quelques dames patronnesses des bonnes œuvres « féministes » (?) de la vénérable institution.
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La séquence va s’amplifiant jour après jour sous nos yeux azimutés par tant de « révélations » fracassantes – y compris sur des morts, au moins Alain Corneau n’aura-t-il pas le mauvais goût de vouloir se défendre des accusations de certaine demoiselle Grappin, « inspirée » (sic) par Judith Godrèche. Laquelle en dézingue deux d’un coup, plus un troisième (plus fort que Springora) : après Jacquot, Doillon, et dans le sillage de Jacquot, Gérard Miller, premier cas sérieux, quant à lui, de lapideur lapidé (Julien Bayou et Aurélien Quatennens, coupeurs de têtes intransigeants, sans oublier les déboires de quelques figures du Collectif 50/50 : des amuse-bouches vite oubliés). Lisons ou relisons Les dieux ont soif (Anatole France).
Les malheurs de Judith
L’accès le plus direct à la Parole de Judith Godrèche : une vidéo d’une dizaine de minutes sur le média Brut.
Nous y voyons une femme de 50 ans, habillée en mignon chérubin, débiter d’une voix sucrée –assez peu convaincante pour tout esprit sensé – l’histoire de ses « malheurs », puis de son réveil miraculeux, nous gratifiant au passage de quelques assertions péremptoires pêchées dans le catéchisme de la « victimologie traumatique ».
Or non, une jeune fille de 15, 16, 17 ans, ce n’est pas une petite fille. C’est une adolescente, dont la sexualité peut être impérieuse, comme la disposition à la passion amoureuse. Vulnérable certes, à la mesure des élans de cet âge de passage et d’initiation à l’état adulte. Certaines relations précoces font mal – ou font du mal. D’autres au contraire donnent force et confiance en soi pour la suite d’une vie amoureuse. Dans tous les cas on y apprend beaucoup, sur soi, et sur la vie. Pour mémoire, l’âge de la majorité sexuelle est fixé à 15 ans – avec des restrictions de plus en plus drastiques, garde-fous illusoires qui privent les adolescents de leur protection la plus sûre : l’indispensable conscience de leur responsabilité personnelle dans la conduite de leur vie, y compris amoureuse. Affaire capitale de l’éducation. Ajoutons que l’on est pénalement responsable dès 13 ans. Le législateur considère donc que l’on n’est plus un enfant.
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Si manipulateurs ou abusifs qu’aient été – peut-être – les hommes que dénonce aujourd’hui Godrèche, et nonobstant l’abandon éducatif dont elle a pu souffrir de la part de parents négligents, la question pertinente est celle de son implication, active et désirante, dans les fantasmes de transgression de ses amants plus âgés. Prétendre la méconnaître n’est d’aucun secours pour se remettre de tels épisodes – si c’est vraiment de cela qu’il s’agit.
Et puis il existe des histoires d’amour et/ou sexuelles qui enjambent la différence d’âge. Ce n’est ni dégoûtant, ni criminel. Simplement – un peu – hors norme.
Mais l’« emprise », me direz-vous ?
« C’est Vénus tout entière à sa proie attachée » : Phèdre, éprise de son beau-fils. Image de prédation, en effet. Mais quel que soit son destin, heureux ou tragique, une passion – une emprise – a-t-elle ailleurs qu’au plus secret de soi sa source irrépressible ?
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