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La Parisienne existe-t-elle toujours?

Histoire d’un mythe


La Parisienne existe-t-elle toujours?
Ines de la Fressange Photo: Hannah ASSOULINE

Personnage de fiction ou réalité historique, elle semble échapper à toutes les codifications


Où es-tu ? Je te cherche depuis si longtemps. Tu sembles aussi impalpable et chimérique que notre identité française. Fugace et immarcescible à la fois. Instable et, cependant indissociable de notre grande fresque vacillante. Ton aura mystique dépasse toutes les bornes. On te court après, on te compare, on t’admire, on te réduit, on te méprise ; entre fascination et répulsion, ta mythologie nourrit notre subconscient, dès le plus jeune âge.

Jalousée, fantasmée

Dans nos obscures provinces, avant la mondialisation liberticide, on te déifiait sans te chosifier. Tu auras été le fantasme des territoires agricoles et des collèges « Pailleron » à l’heure de la Décentralisation. Là, où ton pendant masculin, « Le Parisien », indifférait totalement, n’ayant même pas de consistance physiologique, sorte de cataplasme urbain, inutile et vain, toi, tu captais l’attention, tu retenais notre imaginaire, tu phagocytais nos nuits.

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Tes consœurs étrangères te jalousent encore, tu leur as fait une concurrence déloyale terrible. Les filles des autres capitales comptent pour des prunes dans les manuels et les guides touristiques, elles auront passé leur vie à t’imiter ou te médire. Il suffit de t’enfermer dans une case sociologique pour que tu t’en carapates. Ne parlons même pas de critères physiques et moraux, tu es, selon les époques, tantôt grande et élancée, snobinarde et vacharde, tantôt rabelaisienne et taquine, fille du peuple et émancipée, ambitieuse ou opportuniste, victime ou bourreau, sans parti défini et même parfois sans patrie tout court. Tu es l’insoumise de notre République, seule la Seine coule dans tes veines. Ta liberté semble guider tes pas et aimanter notre regard. Est-ce un crime ? Vouloir te définir et s’intéresser à ta destinée, à travers les siècles, semble déjà « suspect » aux yeux des nouveaux inquisiteurs. Car, il est devenu bien délicat de parler des femmes sans les outrager quand on appartient à l’autre camp. Et si tu étais une construction ? La fiction ne serait que plus belle. Les Hommes n’aiment rien d’autre que l’éphémère et le friable, l’indicible et l’envoûtant. Qui peut croire à une statistique ou à un sondage d’opinion ? L’attirance, le plaisir, l’émotion, le charme, l’amour naissent sur des terres marécageuses, pleines de malentendus et de songes. Le reste, le tangible et le concret, le réel et l’assommant, sont les armes des pragmatiques. Les pauvres. Laissons les calculateurs à leur nomenclature, ils ont la passion des listes et des algorithmes, ces lourdauds ont un boulier dans la tête. Ils ne savent même plus regarder la rue.

Chacun la sienne

En lisant, l’ouvrage bien charpenté et finement écrit que consacre l’historienne Emmanuelle Retaillaud à La Parisienne – Histoire d’un mythe. Du siècle des Lumières à nos jours aux éditions du Seuil, on décèle enfin l’origine du mal ou du mâle. « Frivole, mondaine, élitiste, produit du fantasme masculin, la Parisienne fut d’abord cela, assurément. Mais aussi indépendante, spirituelle, haute en couleur, parfois même frondeuse ou révolutionnaire » écrit-elle, dans son introduction. Entre la ville et la Cour de Versailles, l’intramuros et le « hors les murs », la campagne boueuse et le pavé luisant, les théâtres et l’Université, cette Parisienne n’en finit plus de faire tourner les têtes. On croit l’avoir capturée dans un rôle de femme légère ou du monde, elle réapparait en pétroleuse, en catcheuse des mots, en intello « Nouvelle Vague », en dame de la nuit ou en caissière à talons. Et si chacun d’entre nous avait, en fait, une forme incohérente de Parisienne dans son cœur, représentante inclassable d’une certaine allure. Est-ce interdit d’échafauder les contours de cette créature mythologique ? En dehors des programmes, assez négligeables, avouons-le dans le débat politique actuel, les prochaines élections mettront en opposition trois styles, trois ascendances particulières, trois variations sur un même thème. Chacune empruntant consciemment ou inconsciemment les codes à une Inès de la Fressange, icône autoproclamée du genre et tentant de les assimiler ou de les intégrer à sa propre personnalité. L’amoureux du cinéma et de littérature désengagée que je suis, a toujours cherché, par jeu, depuis l’adolescence, cette figure idéale qui comprimerait l’esprit de Paris au féminin. Comme toutes les grandes fragrances, ce parfum-là est fait d’assemblages. Il y a dans ma Parisienne, un soupçon de Marisa Berenson, d’Alexandra Stewart ou de Marthe Keller, oui, cela peut surprendre, mais ma Parisienne est d’inspiration internationale, c’est un produit d’importation. Puis, il y aurait chez elle, ce que j’appelle l’onde nostalgique, c’est-à-dire les effluves du passé, un Paris en noir et blanc, la trace des « Sixties » aux abords du Luxembourg, la jupe plissée et les élans malhabiles d’une Marie-France Pisier ou d’une Chantal Goya. Ma Parisienne serait aussi sophistiquée et intrépide qu’une Farida Khelfa ou une Geneviève Page.

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Ah et puis, j’oubliais, elle causerait juste, avec aplomb et une pointe de rébellion, avec cette langue cascadeuse qui ne s’apprend pas sur les bancs de la faculté. Ce serait bien évidemment pour couronner le tout, une prodigieuse emmerdeuse. Cocorico oblige ! L’outrance et le sens du ridicule sont des qualités qui disparaissent dans notre monde trop sérieux. Cette « licorne -là » est un rêve éveillé qui peine à émerger. Notre société de plus en plus aseptisée veille à compartimenter les individualités et communautariser les attitudes. Enfin, je trouve qu’Arletty, banlieusarde par essence, ferait une bien jolie synthèse de Parisienne.

La Parisienne – Histoire d’un mythe. Du siècle des Lumières à nos jours – de Emmanuelle Retaillaud – Seuil

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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