Le traître et le néant de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, paru en novembre 2021 aux éditions Fayard, avait pour dessein d’expliquer l’idéologie qui avait façonné le président, afin de mieux comprendre son action. Les deux grands reporters du Monde, en questionnant 110 personnes sur le chef de l’État, cherchèrent à « démasquer Emmanuel Macron ». Avec La nuit tombe deux fois, paru en février chez le même éditeur, les journalistes Corinne Lhaïk et Eric Mandonnet ont pris le parti de raconter Emmanuel Macron confronté au défi de l’autorité, de la sécurité, du régalien…
La nuit tombe deux fois. Un titre étrange pour un quinquennat qui l’a été tout autant.
Pourquoi ce titre ? Pour nous autres, la nuit correspond à ces quelques heures entre le crépuscule et l’aube. Une nuit pour nous, deux pour Emmanuel Macron. En effet, le chef de l’État voit l’obscurité s’abattre à deux reprises : la première fois avec le coucher du soleil, puis dans un second temps, lorsque « tous les soirs, le président reçoit une longue note confidentielle qui dit les drames, les dangers et les dérives de la société française. On ne ressort pas indemne d’une telle lecture. Le poids de la responsabilité vous tombe dessus. “Vous avez le singe sur l’épaule”, dit Emmanuel Macron ». Ces informations viennent de la DGSI, du service central du Renseignement territorial, de la préfecture de Police de Paris, de la Division du renseignement de la gendarmerie nationale. « Si ces notes étaient publiées dans la presse…» s’inquiète, auprès des journalistes, l’un de ceux qui a eu accès à toutes les notes.
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Ces dizaines de pages « disent tout de la noirceur humaine » : une grand-mère violée par des migrants, des Tchétchènes règlent leurs comptes avec l’aide d’un imam, la mafia nigériane s’implante sur la Côte d’Azur… Il y a pléthore de révélations comme celles-ci dans l’ouvrage de Corinne Lhaïk et d’Eric Mandonnet. La première (notre photo) est journaliste à l’Opinion et déjà auteur de la biographie à succès d’Emmanuel Macron, Président Cambrioleur, publiée en 2020. Tandis que le second est rédacteur en chef du service politique de l’Express et l’auteur, avec Ludovic Vigogne, de Ça m’emmerde, ce truc, récit de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007.
Quand Macron découvre qu’il va devoir se préoccuper du régalien
Comme nous le savons tous, Emmanuel Macron ne s’est pas fait élire sur la sécurité.
Le candidat Macron en 2017, tenant de la start-up nation, était à l’aise quand il s’agissait d’Europe ou d’économie, mais il évitait soigneusement de s’aventurer sur des sujets de société tous plus clivants les uns que les autres. Pour répondre à l’angoisse de nombreux Français sur ces thèmes, il fit preuve, par prudence ou par conviction, du plus grand conformisme. On se rappelle de son discours du 1er avril 2017 à Marseille, où il ne voyait pas des Français mais « des Algériens, des Marocains, des Tunisiens, des Comoriens, des Maliens, des Sénégalais et des Ivoiriens ». De même que de son discours lyonnais du 5 février de la même année où il nous avait appris « qu’il n’y a pas de culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse ».
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Ce jeune homme, passé par l’ENA, l’Inspection des finances et Rothschild n’a pas la culture du régalien : « la sécurité, l’armée, l’immigration – clandestine ou pas-, la violence et les délinquances sont terra incognita. Conseiller dans la campagne de François Hollande, puis Secrétaire général adjoint à la présidence de la République, il n’a pas à connaître ces sujets ». Cependant, une fois arrivé au pouvoir, Emmanuel Macron change. Il prend brutalement conscience d’une réalité qu’il méconnaissait. On apprend qu’il ne s’est « présidentialisé » qu’en février-mars 2017, lorsqu’il a commencé à travailler intensément le régalien à l’aide de fiches techniques composées par son équipe, en participant à des séminaires de formation, en s’entretenant avec des magistrats, des experts en sécurité et des policiers.
Le président sortant s’est donc tourné vers l’ordre et l’autorité par nécessité. Corinne Lhaïk et Eric Mandonnet confirment ce que nous savions déjà concernant le chef de l’État, à savoir qu’il n’aime pas le désordre social, qu’il adhère à une société méritocratique, qu’il pense que l’immigration n’est pas un problème en soi, qu’elle est soluble dans l’économie, c’est ce qu’il appelle l’intégration. En revanche, les auteurs nous présentent aussi un président vite obsédé par l’insécurité pour sa réélection, qui a conscience qu’elle ne se lit pas uniquement dans les statistiques, et qui pense que 2022 se jouera sur le régalien : « avec le pouvoir, Emmanuel Macron découvre que l’immigration est un sujet important et qu’il ne va pas se régler facilement ». Il redoute davantage la droite que la gauche, lui qui « a cherché [un] chemin entre surinvestissement de droite et déni de gauche ». Les auteurs le présentent comme « une éponge à absorber les peurs, les contradictions, les doutes de la société française », quelqu’un qui veut concilier les contraires. Seulement, le « en même temps » est loin d’être toujours efficient.
Un procès en inactivité et passivité
« En matière de sécurité, on est cow-boy ou indien, on ne peut pas porter un chapeau à larges bords et une couronne de plumes ». Seulement, comme pour le reste, Macron essaie de concilier les contraires. Il annonce un jour 15 000 places de prison en plus, et « en même temps » il supprime les peines inférieures à un mois. Il en va de même dans la relation qu’il a entretenue avec son ancien ministre de l’Intérieur Gérard Colomb, qui, comme ce dernier le confie aux auteurs, a cherché le soutien du président sur les questions d’immigration et de sécurité… en vain. Ce ministre, qui voulait « mettre du bleu partout », qui s’inquiétait du dévoiement du droit d’asile, n’a pas été soutenu dans son action. Ce qui explique qu’il préféra démissionner en octobre 2018, lançant un avertissement plus que préoccupant avant de quitter son poste : « Aujourd’hui on vit côte à côte, je crains que demain on vive face à face ». Suite au discours d’Emmanuel Macron aux Mureaux le 2 octobre 2020 où est évoquée pour la première fois la lutte contre « les séparatismes », l’ancien maire de Lyon envoie un SMS amer au président : « je réclame des droits d’auteur ».
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Concernant le fait migratoire, Emmanuel Macron n’aime pas qu’on parle d’appel d’air, il ne souhaite pas toucher aux conditions du regroupement familial, car en plus d’être contraires à ses principes, les règles européennes protègent ce dernier.
« La question de l’immigration, omniprésente dans la tête d’Emmanuel Macron, a du mal à passer la rampe de l’action » analysent Lhaïk et Mandonnet. Un chiffre illustre bien cela : le faible taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF). De nombreux pays refusent de reprendre leurs ressortissants, mais le président a attendu le printemps 2021 pour utiliser l’arme des visas. L’exécution des OQTF « n’a jamais dépassé les 13%. Le pouvoir dit régalien ne l’est pas. Pour expulser les clandestins ou les déboutés du droit d’asile, le roi est nu » expliquent les auteurs. Pourtant, en octobre 2019, Macron confiait aux journalistes de Valeurs Actuelles « qu’il souhaitait que 100 % des OQTF soient exécutés d’ici la fin de son mandat ». Un échec cuisant.
Sidéré par l’”hydre islamiste«
Sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, le terrorisme islamiste a frappé à de multiples reprises : Arnaud Beltrame, préfecture de police de Paris, Samuel Paty, attentat de la basilique de Nice… Le président évoqua « l’hydre islamiste » lors des deux premiers attentats, puis « un moment de sidération» suite à la décapitation du professeur d’histoire-géographie. Corinne Lhaïk et Eric Mandonnet nous apprennent que « l’influence de l’islam politique dans certains de nos quartiers constitue un choc pour Macron ». Il se donne alors pour objectif de combattre les extrêmes sans braquer les modérés. Malheureusement, pour lui comme pour nous, « par culture ou sensibilité, ce sont des questions que ses proches maîtrisent mal. Dans son entourage comme au gouvernement, elles sont souvent des impensés ».
L’économie ne suffit plus. La sécurité est un des sujets les plus importants pour les Français, et tous les observateurs s’accordent à dire qu’Emmanuel Macron a échoué en la matière. Le « en même temps » a montré ses limites à tant de reprises. La présence de Gérald Darmanin et d’Éric Dupond-Moretti dans le même gouvernement en est l’illustration la plus éclatante. Cette situation ubuesque est résumée par l’ancien directeur général de la Police nationale et vice-président (LR) de la région Île-de-France Frédéric Péchenard, page 125: « On ne peut pas avoir dans la voiture le ministre de la Justice qui appuie sur le frein et le ministre de l’Intérieur qui appuie sur l’accélérateur ».
De la possible participation d’Emmanuel Macron à la marche en l’honneur de George Floyd à la peur d’une fraternisation entre gilets jaunes et policiers, la lecture de La nuit tombe deux fois est conseillée tant elle nous replonge dans les moments forts du quinquennat. « Les Français veulent moins d’impôts et moins d’arabes » lâche même Darmanin à un visiteur, alors qu’Eric Zemmour est désormais très haut dans les sondages. Et pourtant, malgré tous les échecs de son chef sur le régalien, tout porte à croire qu’il s’apprête à être réélu dans quelques semaines.
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